La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com
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où elle s'était réfugiée <strong>de</strong>rrière un canapé; il ne savait s'il ne l'offenserait pas en luibaisant la main; elle était toute tremblante d'amour, et se jeta dans ses bras.- Cher Fabrice, lui dit-elle, <strong>com</strong>bien tu as tardé <strong>de</strong> temps à venir! Je ne puis te parlerqu'un instant car c'est sans doute un grand péché; et lorsque je promis <strong>de</strong> ne te voirjamais, sans doute j'entendais aussi promettre <strong>de</strong> ne te point parler. Mais <strong>com</strong>mentas-tu pu poursuivre avec tant <strong>de</strong> barbarie l'idée <strong>de</strong> vengeance qu'a eue mon pauvrepère? car enfin c'est lui d'abord qui a été presque empoisonné pour faciliter ta fuite.Ne <strong>de</strong>vais-tu pas faire quelque chose pour moi qui ai tant exposé ma bonne renomméeafin <strong>de</strong> te sauver? Et d'ailleurs te voilà tout à fait lié aux ordres sacrés; tu ne pourraisplus m'épouser quand même je trouverais un moyen d'éloigner cet odieux marquis. Etpuis <strong>com</strong>ment as-tu osé, le soir <strong>de</strong> la procession, prétendre me voir en plein jour, etvioler ainsi, <strong>de</strong> la façon la plus criante, la sainte promesse que j'ai faite à la Madone?Fabrice la serrait dans ses bras, hors <strong>de</strong> lui <strong>de</strong> surprise et <strong>de</strong> bonheur.Un entretien qui <strong>com</strong>mençait avec cette quantité <strong>de</strong> choses à se dire ne <strong>de</strong>vait pasfinir <strong>de</strong> longtemps. Fabrice lui raconta l'exacte vérité sur l'exil <strong>de</strong> son père; laduchesse ne s'en était mêlée en aucune sorte, par la gran<strong>de</strong> raison qu'elle n'avait pascru un seul instant que l'idée du poison appartint au général Conti; elle avait toujourspensé que c'était un trait d'esprit <strong>de</strong> la faction Raversi, qui voulait chasser le <strong>com</strong>teMosca. Cette vérité historique longuement développée rendit Clélia fort heureuse; elleétait désolée <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir haïr quelqu'un qui appartenait à Fabrioe. Maintenant elle nevoyait plus la duchesse d'un oeil jaloux.Le bonheur que cette soirée établit ne dura que quelques jours.L'excellent don Cesare arriva <strong>de</strong> Turin; et, puisant <strong>de</strong> la hardiesse dans la parfaitehonnêteté <strong>de</strong> son coeur, il osa se faire présenter à la duchesse. Après lui avoir<strong>de</strong>mandé sa parole <strong>de</strong> ne point abuser <strong>de</strong> la confiance qu'il allait lui faire, il avoua queson frère, abusé par un faux point d'honneur, et qui s'était cru bravé et perdu dansl'opinion par la fuite <strong>de</strong> Fabrice, avait cru <strong>de</strong>voir se venger.Don Cesare n'avait pas parlé <strong>de</strong>ux minutes, que son procès était gagné: sa vertuparfaite avait touché la duchesse, qui n'était point accoutumée à un tel spectacle. Il luiplut <strong>com</strong>me nouveauté.- Hâtez le mariage <strong>de</strong> la fille du général avec le marquis Crescenzi, et je vous donnema parole que je ferai tout ce qui est en moi pour que le général soit reçu <strong>com</strong>me s'ilrevenait <strong>de</strong> voyage. Je l'inviterai à dîner; êtes-vous content? Sans doute il y aura dufroid dans les <strong>com</strong>mencements, et le général ne <strong>de</strong>vra point se hâter <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r saplace <strong>de</strong> gouverneur <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle. Mais vous savez que j'ai <strong>de</strong> l'amitié pour lemarquis, et je ne conserverai point <strong>de</strong> rancune contre son beau-père.Armé <strong>de</strong> ces paroles, don Cesare vint dire à sa nièce qu'elle tenait en ses mains la vie<strong>de</strong> son père, mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> désespoir. Depuis plusieurs mois il n'avait paru à aucune cour.Clélia voulut aller voir son père, réfugié, sous un nom supposé, dans un village près <strong>de</strong>Turin; car il s'était figuré que la cour <strong>de</strong> <strong>Parme</strong> <strong>de</strong>mandait son extradition à celle <strong>de</strong>Turin, pour le mettre en jugement. Elle le trouva mala<strong>de</strong> et presque fou. Le soir mêmeelle écrivit à Fabrice une lettre d'éternelle rupture. En recevant cette lettre, Fabrice,qui développait un caractère tout à fait semblable à celui <strong>de</strong> sa maîtresse, alla semettre en retraite au couvent <strong>de</strong> Velleja, situé dans les montagnes à dix lieues <strong>de</strong><strong>Parme</strong>. Clélia lui écrivait une lettre <strong>de</strong> dix pages: elle lui avait juré jadis <strong>de</strong> ne jamais268