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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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palais du gouverneur et à la tour Farnèse. Il suffisait <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>ux tours à unressort, dont le gouverneur portait la clef sur lui, pour précipiter ce pont <strong>de</strong> fer dans lacour, à une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cent pieds; cette simple précaution prise, <strong>com</strong>me iln'y avait pas d'autre escalier dans toute la cita<strong>de</strong>lle, et que tous les soirs à minuit unadjudant rapportait chez le gouverneur, et dans un cabinet auquel on entrait par sachambre, les cor<strong>de</strong>s <strong>de</strong> tous les puits, il restait <strong>com</strong>plètement inaccessible dans sonpalais, et il eût été également impossible à qui que ce fût d'arriver à la tour Farnèse.C'est ce que Fabrice avait parfaitement bien remarqué le jour <strong>de</strong> son entrée à lacita<strong>de</strong>lle, et ce que Grillo, qui <strong>com</strong>me tous les geôliers aimait à vanter sa prison, luiavait plusieurs fois expliqué: ainsi il n'avait guère d'espoir <strong>de</strong> se sauver. Cependant ilse souvenait d'une maxime <strong>de</strong> l'abbé Blanès: " L'amant songe plus souvent à arriver àsa maîtresse que le mari à gar<strong>de</strong>r sa femme; le prisonnier songe plus souvent à sesauver, que le geôlier à fermer sa porte; donc, quels que soient les obstacles, l'amantet le prisonnier doivent réussir. "Ce soir-là Fabrice entendait fort distinctement un grand nombre d'hommes passer surle pont en fer, dit le pont <strong>de</strong> l'esclave, parce que jadis un esclave dalmate avait réussià se sauver, en précipitant le gardien du pont dans la cour.On vient faire ici un enlèvement, on va peut-être me mener pendre; mais il peut yavoir du désordre, il s'agit d'en profiter. Il avait pris ses armes, il retirait déjà <strong>de</strong> l'or<strong>de</strong> quelques-unes <strong>de</strong> ses cachettes, lorsque tout à coup il s'arrêta.- L'homme est un plaisant animal, s'écria-t-il, il faut en convenir! Que dirait unspectateur invisible qui verrait mes préparatifs? Est-ce que par hasard je veux mesauver? Que <strong>de</strong>viendrais-je le len<strong>de</strong>main du jour où je serais <strong>de</strong> retour à <strong>Parme</strong>? estceque je ne ferais pas tout au mon<strong>de</strong> pour revenir auprès <strong>de</strong> Clélia? S'il y a dudésordre, profitons-en pour me glisser dans le palais du gouverneur; peut-être jepourrai parler à Clélia, peut-être autorisé par le désordre j'oserai lui baiser la main. Legénéral Conti, fort défiant <strong>de</strong> sa nature, et non moins vaniteux, fait gar<strong>de</strong>r son palaispar cinq sentinelles, une à chaque angle du bâtiment, et une cinquième à la ported'entrée, mais par bonheur la nuit est fort noire. À pas <strong>de</strong> loup, Fabrice alla vérifier ceque faisaient le geôlier Grillo et son chien: le geôlier était profondément endormi dansune peau <strong>de</strong> boeuf suspendue au plancher par quatre cor<strong>de</strong>s, et entourée d'un filetgrossier; le chien Fox ouvrit les yeux, se leva, et s'avança doucement vers Fabricepour le caresser.Notre prisonnier remonta légèrement les six marches qui conduisaient à sa cabane <strong>de</strong>bois; le bruit <strong>de</strong>venait tellement fort au pied <strong>de</strong> la tour Farnèse, et précisément <strong>de</strong>vantla porte, qu'il pensa que Grillo pourrait bien se réveiller. Fabrice, chargé <strong>de</strong> toutes sesarmes, prêt à agir, se croyait réservé cette nuit-là aux gran<strong>de</strong>s aventures, quand toutà coup il entendit <strong>com</strong>mencer la plus belle symphonie du mon<strong>de</strong>: c'était une séréna<strong>de</strong>que l'on donnait au général ou à sa fille. Il tomba dans un accès <strong>de</strong> rire fou: Et moi quisongeais déjà à donner <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> dague! <strong>com</strong>me si une séréna<strong>de</strong> n'était pas unechose infiniment plus ordinaire qu'un enlèvement nécessitant la présence <strong>de</strong> quatrevingtspersonnes dans une prison ou qu'une révolte! <strong>La</strong> musique était excellente etparut délicieuse à Fabrice, dont l'âme n'avait eu aucune distraction <strong>de</strong>puis tant <strong>de</strong>semaines; elle lui fit verser <strong>de</strong> bien douces larmes; dans son ravissement, il adressaitles discours les plus irrésistibles à la belle Clélia. Mais le len<strong>de</strong>main, à midi, il la trouvad'une mélancolie tellement sombre, elle était si pâle, elle dirigeait sur lui <strong>de</strong>s regardsoù il lisait quelquefois tant <strong>de</strong> colère, qu'il ne se sentit pas assez autorisé pour luiadresser une question sur la séréna<strong>de</strong>; il craignit d'être impoli.188

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