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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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Cette première interruption fut suivie <strong>de</strong> dix autres; on poussait <strong>de</strong>s cris d'admiration,il y avait <strong>de</strong>s éclats <strong>de</strong> larmes; on entendait à chaque instant <strong>de</strong>s cris tels que: Ah!sainte Madone! Ah! grand Dieu! L'émotion était si générale et si invincible dans cepublic d'élite, que personne n'avait honte <strong>de</strong> pousser <strong>de</strong>s cris, et les gens qui y étaiententraînés ne semblaient point ridicules à leurs voisins.Au repos qu'il est d'usage <strong>de</strong> prendre au milieu du sermon, on dit à Fabrice qu'il n'étaitresté absolument personne au spectacle; une seule dame se voyait encore dans saloge, la marquise Crescenzi. Pendant ce moment <strong>de</strong> repos on entendit tout à coupbeaucoup <strong>de</strong> bruit dans la salle: c'étaient les fidèles qui votaient une statue à M. lecoadjuteur. Son succès dans la secon<strong>de</strong> partie du discours fut tellement fou etmondain, les élans <strong>de</strong> contrition chrétienne furent tellement remplacés par <strong>de</strong>s crisd'admiration tout à fait profanes, qu'il crut <strong>de</strong>voir adresser, en quittant la chaire, unesorte <strong>de</strong> répriman<strong>de</strong> aux auditeurs. Sur quoi tous sortirent à la fois avec unmouvement qui avait quelque chose <strong>de</strong> singulier et <strong>de</strong> <strong>com</strong>passé; et, en arrivant à larue, tous se mettaient à applaudir avec fureur et à crier: E viva <strong>de</strong>l Dongo!Fabrice consulta sa montre avec précipitation, et courut à une petite fenêtre grillée quiéclairait l'étroit passage <strong>de</strong> l'orgue à l'intérieur du couvent. Par politesse envers lafoule incroyable et insolite qui remplissait la rue, le suisse du palais Crescenzi avaitplacé une douzaine <strong>de</strong> torches dans ces mains <strong>de</strong> fer que l'on voit sortir <strong>de</strong>s murs <strong>de</strong>face <strong>de</strong>s palais bâtis au moyen âge. Après quelques minutes, et longtemps avant queles cris eussent cessé, l'événement que Fabrice attendait avec tant d'anxiété arriva, lavoiture <strong>de</strong> la marquise revenant du spectacle, parut dans la rue, le cocher fut obligé<strong>de</strong> s'arrêter, et ce ne fut qu'au plus petit pas, et à force <strong>de</strong> cris, que la voiture putgagner la porte.<strong>La</strong> marquise avait été touchée <strong>de</strong> la musique sublime, <strong>com</strong>me le sont les coeursmalheureux, mais bien plus encore <strong>de</strong> la solitu<strong>de</strong> parfaite du spectacle lorsqu'elle enapprit la cause. Au milieu du second acte, et le ténor admirable étant en scène, lesgens même du parterre avaient tout à coup déserté leurs places pour aller tenterfortune et essayer <strong>de</strong> pénétrer dans l'église <strong>de</strong> la Visitation. <strong>La</strong> marquise, se voyantarrêtée par la foule <strong>de</strong>vant sa porte, fondit en larmes. Je n'avais pas fait un mauvaischoix! se dit-elle.Mais précisément à cause <strong>de</strong> ce moment d'attendrissement elle résista avec fermetéaux instances du marquis et <strong>de</strong> tous les amis <strong>de</strong> la maison, qui ne concevaient pasqu'elle n'allât point voir un prédicateur aussi étonnant. Enfin, disait-on, il l'emportemême sur le meilleur ténor <strong>de</strong> l'Italie! Si je le vois, je suis perdue! se disait lamarquise.Ce fut en vain que Fabrice, dont le talent semblait plus brillant chaque jour, prêchaencore plusieurs fois dans cette même petite église, voisine du palais Crescenzi,jamais il n'aperçut Clélia, qui même à la fin prit <strong>de</strong> l'humeur <strong>de</strong> cette affectation àvenir troubler sa rue solitaire, après l'avoir déjà chassée <strong>de</strong> son jardin.En parcourant les figures <strong>de</strong> femmes qui l'écoutaient, Fabrice remarquait <strong>de</strong>puis assezlongtemps une petite figure brune fort jolie, et dont les yeux jetaient <strong>de</strong>s flammes.Ces yeux magnifiques étaient ordinairement baignés <strong>de</strong> larmes dès la huitième oudixième phrase du sermon. Quand Fabrice était obligé <strong>de</strong> dire <strong>de</strong>s choses longues etennuyeuses pour lui-même, il reposait assez volontiers ses regards sur cette tête dontla jeunesse lui plaisait. Il apprit que cette jeune personne s'appelait Anetta Marini, filleunique et héritière du plus riche marchand drapier <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>, mort quelques moisauparavant.282

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