La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com
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Alors elle raconta la scène du jour <strong>de</strong> la Saint-Étienne, et la fureur <strong>de</strong> M***, quin'avait perdu aucun <strong>de</strong>s regards et <strong>de</strong>s signes d'amour que la Fausta, ce jour-là folle<strong>de</strong> Fabrice, lui avait adressés. Le <strong>com</strong>te avait tiré son poignard, avait saisi la Faustapar les cheveux, et, sans sa présence d'esprit, elle était perdue.Fabrice fit monter la jolie Bettina dans un petit appartement qu'il avait près <strong>de</strong> là. Il luiraconta qu'il était <strong>de</strong> Turin, fils d'un grand personnage qui pour le moment se trouvaità <strong>Parme</strong>, ce qui l'obligeait à gar<strong>de</strong>r beaucoup <strong>de</strong> ménagements. <strong>La</strong> Bettina lui réponditen riant qu'il était bien plus grand seigneur qu'il ne voulait paraître. Notre héros eutbesoin d'un peu <strong>de</strong> temps avant <strong>de</strong> <strong>com</strong>prendre que la charmante fille le prenait pourun non moindre personnage que le prince héréditaire lui-même. <strong>La</strong> Fausta <strong>com</strong>mençaità avoir peur et à aimer Fabrice; elle avait pris sur elle <strong>de</strong> ne pas dire ce nom à safemme <strong>de</strong> chambre, et <strong>de</strong> lui parler du prince. Fabrice finit par avouer à la jolie fillequ'elle avait <strong>de</strong>viné juste: Mais si mon nom est ébruité, ajouta-t-il, malgré la gran<strong>de</strong>passion dont j'ai donné tant <strong>de</strong> preuves à ta maîtresse, je serai obligé <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> lavoir, et aussitôt les ministres <strong>de</strong> mon père, ces méchants drôles que je <strong>de</strong>stituerai unjour, ne manqueront pas <strong>de</strong> lui envoyer l'ordre <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r le pays, que jusqu'ici elle aembelli <strong>de</strong> sa présence.Vers le matin, Fabrice <strong>com</strong>bina avec la petite camériste plusieurs projets <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>zvouspour arriver à la Fausta; il fit appeler Ludovic et un autre <strong>de</strong> ses gens fort adroit,qui s'entendirent avec la Bettina, pendant qu'il écrivait à la Fausta la lettre la plusextravagante; la situation <strong>com</strong>portait toutes les exagérations <strong>de</strong> la tragédie et Fabricene s'en fit pas faute. Ce ne fut qu'à la pointe du jour qu'il se sépara <strong>de</strong> la petitecamériste, fort contente <strong>de</strong>s façons du jeune prince.Il avait été cent fois répété que, maintenant que la Fausta était d'accord avec sonamant, celui-ci ne repasserait plus sous les fenêtres du petit palais que lorsqu'onpourrait l'y recevoir, et alors il y aurait signal. Mais Fabrice, amoureux <strong>de</strong> la Bettina, etse croyant près du dénouement avec la Fausta, ne put se tenir dans son village à <strong>de</strong>uxlieues <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>. Le len<strong>de</strong>main, vers les minuit, il vint à cheval, et bien ac<strong>com</strong>pagné,chanter sous les fenêtres <strong>de</strong> la Fausta un air alors à la mo<strong>de</strong> et dont il changeait lesparoles. N'est-ce pas ainsi qu'en agissent messieurs les amants? se disait-il.Depuis que la Fausta avait témoigné le désir d'un ren<strong>de</strong>z-vous, toute cette chassesemblait bien longue à Fabrice. Non, je n'aime point, se disait-il en chantant assez malsous les fenêtres du petit palais; la Bettina me semble cent fois préférable à la Fausta,et c'est par elle que je voudrais être reçu en ce moment. Fabrice, s'ennuyant assez,retournait à son village, lorsque à cinq cents pas du palais <strong>de</strong> la Fausta quinze ou vingthommes se jetèrent sur lui, quatre d'entre eux saisirent la bri<strong>de</strong> <strong>de</strong> son cheval, <strong>de</strong>uxautres s'emparèrent <strong>de</strong> ses bras. Ludovic et les bravi <strong>de</strong> Fabrice furent assaillis maispurent se sauver; ils tirèrent quelques coups <strong>de</strong> pistolet. Tout cela fut l'affaire d'uninstant: cinquante flambeaux allumés parurent dans la rue en un clin d'oeil et <strong>com</strong>mepar enchantement. Tous ces hommes étaient bien armés. Fabrice avait sauté à bas <strong>de</strong>son cheval, malgré les gens qui le retenaient; il chercha à se faire jour; il blessa mêmeun <strong>de</strong>s hommes qui lui serrait les bras avec <strong>de</strong>s mains semblables à <strong>de</strong>s étaux; mais ilfut bien étonné d'entendre cet homme lui dire du ton le plus respectueux:- Votre Altesse me fera une bonne pension pour cette blessure, ce qui vaudra mieuxpour moi que <strong>de</strong> tomber dans le crime <strong>de</strong> lèse-majesté, en tirant l'épée contre monprince.Voici justement le châtiment <strong>de</strong> ma sottise, se dit Fabrice, je me serai damné pour unpéché qui ne me semblait point aimable.133