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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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ponctualité excessive. Ceci est un pari, lui répond le <strong>com</strong>te Mosca: songez aux sonnetssatiriques dont les jacobins nous accableraient si nous vous laissions tuer. Ce n'est passeulement votre vie que nous défendons, c'est notre honneur: mais il paraît que leprince n'est dupe qu'à <strong>de</strong>mi, car si quelqu'un dans la ville s'avise <strong>de</strong> dire que la veilleon a passé une nuit blanche au château, le grand fiscal Rassi envoie le mauvaisplaisant à la cita<strong>de</strong>lle; et une fois dans cette <strong>de</strong>meure élevée et en bon air, <strong>com</strong>me ondit à <strong>Parme</strong>, il faut un miracle pour que l'on se souvienne du prisonnier. C'est parcequ'il est militaire, et qu'en Espagne il s'est sauvé vingt fois le pistolet à la main, aumilieu <strong>de</strong>s surprises, que le prince préfère le <strong>com</strong>te Mosca à Rassi, qui est bien plusflexible et plus bas. Ces malheureux prisonniers <strong>de</strong> la cita<strong>de</strong>lle sont au secret le plusrigoureux, et l'on fait <strong>de</strong>s histoires sur leur <strong>com</strong>pte. Les libéraux préten<strong>de</strong>nt que, parune invention <strong>de</strong> Rassi, les geôliers et confesseurs ont ordre <strong>de</strong> leur persua<strong>de</strong>r quetous les mois à peu près, l'un d'eux est conduit à la mort. Ce jour-là les prisonniersont la permission <strong>de</strong> monter sur l'esplana<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'immense tour, à cent quatre-vingtspieds d'élévation, et <strong>de</strong> là ils voient défiler un cortège avec un espion qui joue le rôled'un pauvre diable qui marche à la mort.Ces contes, et vingt autres du même genre et d'une non moindre authenticité,intéressaient vivement Mme Pietranera; le len<strong>de</strong>main, elle <strong>de</strong>mandait <strong>de</strong>s détails au<strong>com</strong>te Mosca, qu'elle plaisantait vivement. Elle le trouvait amusant et lui soutenaitqu'au fond il était un monstre sans s'en douter. Un jour, en rentrant à son auberge, le<strong>com</strong>te se dit: Non seulement cette <strong>com</strong>tesse Pietranera est une femme charmante;mais quand je passe la soirée dans sa loge, je parviens à oublier certaines choses <strong>de</strong><strong>Parme</strong> dont le souvenir me perce le coeur. " Ce ministre, malgré son air léger et sesfaçons brillantes, n'avait pas une âme à la française; il ne savait pas oublier leschagrins. Quand son chevet avait une épine, il était obligé <strong>de</strong> la briser et <strong>de</strong> l'user àforce d'y piquer ses membres palpitant ". Je <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pardon pour cette phrase,traduite <strong>de</strong> l'italien. Le len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> cette découverte, le <strong>com</strong>te trouva que malgré lesaffaires qui l'appelaient à Milan, la journée était d'une longueur énorme; il ne pouvaittenir en place; il fatigua les chevaux <strong>de</strong> sa voiture. Vers les six heures, il monta àcheval pour aller au Corso; il avait quelque espoir d'y rencontrer Mme Pietranera; nel'y ayant pas vue, il se rappela qu'à huit heures le théâtre <strong>de</strong> la Scala ouvrait; il yentra et ne vit pas dix personnes dans cette salle immense. Il eut quelque pu<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>se trouver là. Est-il possible, se dit-il, qu'à quarante-cinq ans sonnés je fasse <strong>de</strong>s foliesdont rougirait un sous-lieutenant! Par bonheur personne ne les soupçonne. Il s'enfuitet essaya d'user le temps en se promenant dans ces rues si jolies qui entourent lethéâtre <strong>de</strong> la Scala. Elles sont occupées par <strong>de</strong>s cafés qui, à cette heure, regorgent <strong>de</strong>mon<strong>de</strong>; <strong>de</strong>vant chacun <strong>de</strong> ces cafés, <strong>de</strong>s foules <strong>de</strong> curieux établis sur <strong>de</strong>s chaises, aumilieu <strong>de</strong> la rue, prennent <strong>de</strong>s glaces et critiquent les passants. Le <strong>com</strong>te était unpassant remarquable; aussi eut-il le plaisir d'être reconnu et accosté. Trois ou quatreimportuns <strong>de</strong> ceux qu'on ne peut brusquer, saisirent cette occasion d'avoir audienced'un ministre si puissant. Deux d'entre eux lui remirent <strong>de</strong>s pétitions; le troisième secontenta <strong>de</strong> lui adresser <strong>de</strong>s conseils fort longs sur sa conduite politique.On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit; on ne se promène point quand on estaussi puissant. Il rentra au théâtre et eut l'idée <strong>de</strong> louer une loge au troisième rang;<strong>de</strong> là son regard pourrait plonger, sans être remarqué <strong>de</strong> personne, sur la loge <strong>de</strong>ssecon<strong>de</strong>s où il espérait voir arriver la <strong>com</strong>tesse. Deux gran<strong>de</strong>s heures d'attente neparurent point trop longues à cet amoureux; sûr <strong>de</strong> n'être point vu, il se livrait avecbonheur à toute sa folie. <strong>La</strong> vieillesse, se disait-il, n'est-ce pas, avant tout, n'être pluscapable <strong>de</strong> ces enfantillages délicieux?Enfin la <strong>com</strong>tesse parut. Armé <strong>de</strong> sa lorgnette, il l'examinait avec transport: Jeune,brillante, légère <strong>com</strong>me un oiseau, se disait-il, elle n'a pas vingt-cinq ans. Sa beauté58

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