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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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quatre, et, sur un <strong>de</strong>s blancs du papier, la duchesse avait daigné écrire: Non, mille foisnon!Il serait difficile <strong>de</strong> décrire le désespoir du pauvre ministre. Elle a raison, j'en conviens,se disait-il à chaque instant; mon omission du mot procédure injuste est un affreuxmalheur; elle entraînera peut-être la mort <strong>de</strong> Fabrice, et celle-ci amènera la mienne.Ce fut avec la mort dans l'âme que le <strong>com</strong>te, qui ne voulait pas paraître au palais dusouverain avant d'y être appelé, écrivit <strong>de</strong> sa main le motu proprio qui nommait Rassichevalier <strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong> Saint-Paul et lui conférait la noblesse transmissible; le <strong>com</strong>te yjoignit un rapport d'une <strong>de</strong>mi-pause qui exposait au prince les raisons d'état quiconseillaient cette mesure. Il trouva une sorte <strong>de</strong> joie mélancolique à faire <strong>de</strong> cespièces <strong>de</strong>ux belles copies qu'il adressa à la duchesse.Il se perdait en suppositions; il cherchait à <strong>de</strong>viner quel serait à l'avenir le plan <strong>de</strong>conduite <strong>de</strong> la femme qu'il aimait. Elle n'en sait rien elle-même, se disait-il; une seulechose reste certaine, c'est que, pour rien au mon<strong>de</strong>, elle ne manquerait auxrésolutions qu'elle m'aurait une fois annoncées. Ce qui ajoutait encore à son malheur,c'est qu'il ne pouvait parvenir à trouver la duchesse blâmable. Elle m'a fait une grâceen m'aimant, elle cesse <strong>de</strong> m'aimer après une faute involontaire, il est vrai, mais quipeut entraîner une conséquence horrible; je n'ai aucun droit <strong>de</strong> me plaindre. Lelen<strong>de</strong>main matin, le <strong>com</strong>te sut que la duchesse avait re<strong>com</strong>mencé à aller dans lemon<strong>de</strong>; elle avait paru la veille au soir dans toutes les maisons qui recevaient. Quefût-il <strong>de</strong>venu s'il se fût rencontré avec elle dans le même salon? Comment lui parler?De quel ton lui adresser la parole? Et <strong>com</strong>ment ne pas lui parler?Le len<strong>de</strong>main fut un jour funèbre; le bruit se répandait généralement que Fabrice allaitêtre mis à mort, la ville fut émue. On ajoutait que le prince, ayant égard à sa hautenaissance, avait daigné déci<strong>de</strong>r qu'il aurait la tête tranchée.- C'est moi qui le tue, se dit le <strong>com</strong>te; je ne puis plus prétendre à revoir jamais laduchesse. Malgré ce raisonnement assez simple, il ne put s'empêcher <strong>de</strong> passer troisfois à sa porte; à la vérité, pour n'être pas remarqué, il alla chez elle à pied. Dans sondésespoir, il eut même le courage <strong>de</strong> lui écrire. Il avait fait appeler Rassi <strong>de</strong>ux fois; lefiscal ne s'était point présenté. Le coquin me trahit, se dit le <strong>com</strong>te.Le len<strong>de</strong>main, trois gran<strong>de</strong>s nouvelles agitaient la haute société <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>, et même labourgeoisie. <strong>La</strong> mise à mort <strong>de</strong> Fabrice était plus que jamais certaine; et, <strong>com</strong>plémentbien étrange <strong>de</strong> cette nouvelle, la duchesse ne paraissait point trop au désespoir.Selon les apparences, elle n'accordait que <strong>de</strong>s regrets assez modérés à son jeuneamant; toutefois elle profitait avec un art infini <strong>de</strong> la pâleur que venait <strong>de</strong> lui donnerune indisposition assez grave, qui était survenue en même temps que l'arrestation <strong>de</strong>Fabrice. Les bourgeois reconnaissaient bien à ces détails le coeur sec d'une gran<strong>de</strong>dame <strong>de</strong> la cour. Par décence cependant, et <strong>com</strong>me sacrifice aux mânes du jeuneFabrice, elle avait rompu avec le <strong>com</strong>te Mosca. Quelle immoralité! s'écriaient lesjansénistes <strong>de</strong> <strong>Parme</strong>. Mais déjà la duchesse, chose incroyable! paraissait disposée àécouter les cajoleries <strong>de</strong>s plus beaux jeunes gens <strong>de</strong> la cour. On remarquait, entreautres singularités, qu'elle avait été fort gaie dans une conversation avec le <strong>com</strong>teBaldi, l'amant actuel <strong>de</strong> la Raversi, et l'avait beaucoup plaisanté sur ses coursesfréquentes au château <strong>de</strong> Velleja. <strong>La</strong> petite bourgeoisie et le peuple étaient indignés<strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Fabrice, que ces bonnes gens attribuaient à la jalousie du <strong>com</strong>te Mosca.<strong>La</strong> société <strong>de</strong> la cour s'occupait aussi beaucoup du <strong>com</strong>te, mais c'était pour s'enmoquer. <strong>La</strong> troisième <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s nouvelles que nous avons annoncées n'était autreen effet que la démission du <strong>com</strong>te; tout le mon<strong>de</strong> se moquait d'un amant ridicule qui,à l'âge <strong>de</strong> cinquante-six ans, sacrifiait une position magnifique au chagrin d'être quitté171

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