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La Chartreuse de Parme STENDHAL - livrefrance.com

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enouveler la charge <strong>de</strong> leurs armes, le tapage sur la gran<strong>de</strong> route continuait, et avaitduré toute la nuit: c'était <strong>com</strong>me le bruit d'un torrent entendu dans le lointain .- Ce sont <strong>com</strong>me <strong>de</strong>s moutons qui se sauvent, dit Fabrice au caporal, d'un air naïf.- Veux-tu bien te taire, blanc-bec! dit le caporal indigné; et les trois soldats qui<strong>com</strong>posaient toute son armée avec Fabrice regardèrent celui-ci d'un air <strong>de</strong> colère,<strong>com</strong>me s'il eût blasphémé. Il avait insulté la nation.Voilà qui est fort! pensa notre héros; j'ai déjà remarqué cela chez le vice-roi à Milan;ils ne fuient pas, non! Avec ces Français il n'est pas permis <strong>de</strong> dire la vérité quand ellechoque leur vanité. Mais quant à leur air méchant je m'en moque, et il faut que je leleur fasse <strong>com</strong>prendre. On marchait toujours à cinq cents pas <strong>de</strong> ce torrent <strong>de</strong> fuyardsqui couvraient la gran<strong>de</strong> route. À une lieue <strong>de</strong> là le caporal et sa troupe traversèrentun chemin qui allait rejoindre la route et où beaucoup <strong>de</strong> soldats étaient couchés.Fabrice acheta un cheval assez bon qui lui coûta quarante francs, et parmi tous lessabres jetés <strong>de</strong> côté et d'autre, il choisit avec soin un grand sabre droit. Puisqu'on ditqu'il faut piquer pensa-t-il, celui-ci est le meilleur. Ainsi équipé il mit son cheval augalop et rejoignit bientôt le caporal qui avait pris les <strong>de</strong>vants. Il s'affermit sur sesétriers, prit <strong>de</strong> la main gauche le fourreau <strong>de</strong> son sabre droit, et dit aux quatreFrançais:- Ces gens qui se sauvent sur la gran<strong>de</strong> route ont l'air d'un troupeau <strong>de</strong> moutons... Ilsmarchent <strong>com</strong>me <strong>de</strong>s moutons effrayés...Fabrice avait beau appuyer sur le mot mouton, ses camara<strong>de</strong>s ne se souvenaient plusd'avoir été fâchés par ce mot une heure auparavant. Ici se trahit un <strong>de</strong>s contrastes<strong>de</strong>s caractères italien et français; le Français est sans doute le plus heureux, il glissesur les événements <strong>de</strong> la vie et ne gar<strong>de</strong> pas rancune.Nous ne cacherons point que Fabrice fut très satisfait <strong>de</strong> sa personne après avoir parlé<strong>de</strong>s moutons. On marchait en faisant la petite conversation. À <strong>de</strong>ux lieues <strong>de</strong> là lecaporal, toujours fort étonné <strong>de</strong> ne point voir la cavalerie ennemie, dit à Fabrice:- Vous êtes notre cavalerie, galopez vers cette ferme sur ce petit tertre, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z aupaysan s'il veut nous vendre à déjeuner, dites bien que nous ne sommes que cinq. S'ilhésite donnez-lui cinq francs d'avance <strong>de</strong> votre argent mais soyez tranquille, nousreprendrons la pièce blanche après le déjeuner.Fabrice regarda le caporal, il vit en lui une gravité imperturbable, et vraiment l'air <strong>de</strong>la supériorité morale; il obéit. Tout se passa <strong>com</strong>me l'avait prévu le <strong>com</strong>mandant enchef, seulement Fabrice insista pour qu'on ne reprît pas <strong>de</strong> vive force les cinq francsqu'il avait donnés au paysan.- L'argent est à moi, dit-il à ses camara<strong>de</strong>s, je ne paie pas pour vous, je paie pourl'avoine qu'il a donnée à mon cheval.Fabrice prononçait si mal le français, que ses camara<strong>de</strong>s crurent voir dans ses parolesun ton <strong>de</strong> supériorité, ils furent vivement choqués, et dès lors dans leur esprit un duelse prépara pour la fin <strong>de</strong> la journée. Ils le trouvaient fort différent d'eux-mêmes, cequi les choquait; Fabrice au contraire <strong>com</strong>mençait à se sentir beaucoup d'amitié poureux.33

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