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Le journal communiste de la ville, La Marseillaise, traite
d’« envahisseurs » les familles désemparées qui errent dans les rues.
Quant au sénateur-maire socialiste, Gaston Defferre, il se drape dans les
grotesques oripeaux d’un matamore bravache. Le 26 juillet, interviewé
par Paris-Presse-L’Intransigeant, il postillonne, martial : « Il y a 150 000
habitants de trop à Marseille. C’est le nombre des rapatriés d’Algérie, qui
pensent que le Grand Nord commence à Avignon. » Le journaliste : « Et
les enfants ? » Réponse : « Pas question de les inscrire à l’école, car il n’y
a déjà pas assez de place pour les petits Marseillais. » Plus loin : « Au
début, le Marseillais était ému par l’arrivée de ces pauvres gens, mais
bien vite les “pieds-noirs” ont voulu agir comme ils le faisaient en
Algérie, quand ils donnaient des coups de pied aux fesses aux Arabes.
Alors les Marseillais se sont rebiffés. Mais, vous-même, regardez en
ville : toutes les voitures immatriculées en Algérie sont en infraction… »
L’élu menace : « Si les pieds-noirs veulent nous chatouiller le bout du
nez, ils verront comment mes hommes savent se châtaigner… N’oubliez
pas que j’ai avec moi une majorité de dockers et de chauffeurs de
taxis ! » Tartarin de la Canebière, il hausse le ton : « Qu’ils quittent
Marseille en vitesse ! Qu’ils essaient de se réadapter ailleurs et tout ira
pour le mieux. »
Craignant les mauvaises influences que représentent ces flots de
populations débarqués d’Algérie, le journal La Croix du 24 février incite
onctueusement ses lecteurs à « éviter de laisser notre jeunesse se
contaminer au contact de garçons qui ont pris l’habitude de la violence
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poussée jusqu’au crime ».
Autre conseil charitable de la publication catholique, relevé par André
Rossfelder dans Le Onzième Commandement : « Il faut traiter
collectivement les pieds-noirs comme un homme en train de se noyer
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qu’il convient d’assommer pour mieux le sauver . » Blessé par le déni de
vérité et de justice qui frappe pieds-noirs et Arabes fidèles à la France, ce
pied-noir de la quatrième génération, ami d’Albert Camus, engagé très
jeune dans la Résistance et dans les combats pour la libération de la
métropole au sein de l’Armée d’Afrique, puis dans celui de l’Algérie
Française, estime que le 19 mars 1962 « marque pour l’histoire le
commencement du pire de ces temps diaboliques ».