Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Ce 30 janvier, au théâtre Antoine, à Paris, Albert Camus crée Les
Possédés, d’après le roman de Fédor Dostoïevski. Thème de la pièce : le
nihilisme, les extrémistes enfiévrés de l’abstraction politique, qui, au
nom d’une cause, d’un absolu impérieux, justifient le terrorisme, même
s’il frappe, avant tout, des civils. L’un des personnages, Pierre
Verkhovensky, éructe, dans le « cinquième tableau » : « Moi je dis qu’il
faut agir. Je détruirai tout et d’autres bâtiront. Pas de réforme. Pas
d’amélioration. Plus on améliore et on réforme et pire c’est. Plus vite on
commence à détruire et mieux c’est. Détruire d’abord. Ensuite, ce n’est
plus notre affaire. Le reste est sornettes, sornettes, sornettes. »
En métropole, l’humanisme de Camus lui attire les foudres des partis
de gauche, des intellectuels marxistes et des militants anticolonialistes.
Campés sur leurs certitudes d’incarner la générosité historique et de bâtir
des lendemains qui chantent, ils ne cessent, subjugués par Jean-Paul
Sartre, de grossir outrancièrement les traits d’une caricature du pied-noir
raciste, fasciste, exploiteur d’Arabes. Albert Camus, ulcéré par leurs
indignations haineusement sélectives et leur mutisme devant les crimes,
d’emblée absous, du FLN, promu héraut de l’émancipation des peuples
opprimés, se sent de plus en plus isolé. Déjà, en 1955, dans L’Express, il
avait publié, le 21 octobre, un article intitulé « La bonne conscience » :
« Entre la métropole et les Français d’Algérie, le fossé n’a jamais
été aussi grand. Pour parler d’abord de la métropole, tout se passe
comme si le juste procès, fait enfin chez nous à la politique de
colonisation, avait été étendu à tous les Français qui vivent là-bas.
À lire une certaine presse, il semblerait vraiment que l’Algérie
soit peuplée d’un million de colons à cravache et cigare, montés sur
11
Cadillac . »
Le gamin de Belcourt, un quartier populaire d’Alger, orphelin de père,
élevé par deux femmes analphabètes, sa mère et sa grand-mère, déplore
que ne se développe chez les Français d’Algérie l’idée que « la France
métropolitaine leur a tiré dans le dos ».
Dans le numéro de mars-avril 1956 des Temps modernes, Jean-Paul
Sartre avait jeté l’anathème sur l’ensemble d’une population coupable
collectivement par la naissance :