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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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Ce 30 janvier, au théâtre Antoine, à Paris, Albert Camus crée Les

Possédés, d’après le roman de Fédor Dostoïevski. Thème de la pièce : le

nihilisme, les extrémistes enfiévrés de l’abstraction politique, qui, au

nom d’une cause, d’un absolu impérieux, justifient le terrorisme, même

s’il frappe, avant tout, des civils. L’un des personnages, Pierre

Verkhovensky, éructe, dans le « cinquième tableau » : « Moi je dis qu’il

faut agir. Je détruirai tout et d’autres bâtiront. Pas de réforme. Pas

d’amélioration. Plus on améliore et on réforme et pire c’est. Plus vite on

commence à détruire et mieux c’est. Détruire d’abord. Ensuite, ce n’est

plus notre affaire. Le reste est sornettes, sornettes, sornettes. »

En métropole, l’humanisme de Camus lui attire les foudres des partis

de gauche, des intellectuels marxistes et des militants anticolonialistes.

Campés sur leurs certitudes d’incarner la générosité historique et de bâtir

des lendemains qui chantent, ils ne cessent, subjugués par Jean-Paul

Sartre, de grossir outrancièrement les traits d’une caricature du pied-noir

raciste, fasciste, exploiteur d’Arabes. Albert Camus, ulcéré par leurs

indignations haineusement sélectives et leur mutisme devant les crimes,

d’emblée absous, du FLN, promu héraut de l’émancipation des peuples

opprimés, se sent de plus en plus isolé. Déjà, en 1955, dans L’Express, il

avait publié, le 21 octobre, un article intitulé « La bonne conscience » :

« Entre la métropole et les Français d’Algérie, le fossé n’a jamais

été aussi grand. Pour parler d’abord de la métropole, tout se passe

comme si le juste procès, fait enfin chez nous à la politique de

colonisation, avait été étendu à tous les Français qui vivent là-bas.

À lire une certaine presse, il semblerait vraiment que l’Algérie

soit peuplée d’un million de colons à cravache et cigare, montés sur

11

Cadillac . »

Le gamin de Belcourt, un quartier populaire d’Alger, orphelin de père,

élevé par deux femmes analphabètes, sa mère et sa grand-mère, déplore

que ne se développe chez les Français d’Algérie l’idée que « la France

métropolitaine leur a tiré dans le dos ».

Dans le numéro de mars-avril 1956 des Temps modernes, Jean-Paul

Sartre avait jeté l’anathème sur l’ensemble d’une population coupable

collectivement par la naissance :

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