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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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nous relie au passé. » Elle conserve quelques papiers : une photo de

classe, quand son père, blouse grise de rigueur, avait dix ans. Le diplôme

de « certificat d’études primaires » que, le 10 juillet 1949, l’inspecteur

d’académie du Nord avait remis, à Lille, à l’adolescent de quatorze ans.

Une attestation que le magasinier de l’ERM à La Sénia avait obtenue, le

7 juin 1962, permettant à sa femme et à ses trois filles de bénéficier du

« tarif militaire », accordé aux membres de la famille d’un personnel civil

de l’armée, sur un aller-retour Oran La Sénia-Paris Orly. « Date de

départ : début juin 1962. Date approximative de retour : mi-août 1962 ».

« Il avait une priorité : nous protéger. » Enfin, la lettre du 16 mai 1966,

par laquelle Jean de Broglie avait informé sa mère que son père était

déclaré décédé par jugement du 18 mars 1966, le secrétaire d’État aux

Affaires algériennes lui « renouvelant », dans la formule de politesse, ses

« sentiments de sympathie attristée »… « Des mots mille fois répétés qui

ne signifiaient rien d’autre qu’un formalisme administratif qui épaissira

un dossier dans un fond d’armoire. »

Geneviève ne se rappelle pas le 5 juillet 1962. « On m’a raconté qu’en

fin d’après-midi, nous avions traversé à pied une partie du quartier Saint-

Eugène, de la cité Robespierre jusqu’à la rue Heredia, où habitait Joseph

Garcia. Ma mère tentait de se rassurer en se cramponnant à l’idée que

mon père et son oncle discutaient chez ce dernier des violences en ville.

Je l’imagine, enceinte, se dépêchant le long des trottoirs, derrière la

poussette, où était assise ma petite sœur, Martine, mon aînée, Huguette et

moi, trottinant à ses côtés. Sur le trajet, on entendait certainement des

coups de feu, des cris. Les éboueurs ne ramassant plus les poubelles, ça

devait sentir très mauvais. Rue Heredia, Tata Anna croyait, elle, que son

mari était chez nous. Notre venue l’a alarmée. » Les deux femmes

comprennent alors que quelque chose de grave s’est produit.

Premier souvenir de Geneviève : « Une grande frayeur », peu de temps

après le 5 juillet. « Ma mère nous avait emmenées en promenade sur le

boulevard du Front-de-Mer. Les grands immeubles blancs

m’éblouissaient. Et la Méditerranée, si belle. Soudain, un Arabe s’est mis

à nous suivre. Il avait une moustache, des lunettes noires et se cachait

dans les portes cochères des immeubles, comme un voleur qui craint

d’être repéré. Apeurées, nous avons couru et nous sommes réfugiées dans

une boucherie. Maman était affolée. Le boucher nous a raccompagnées

jusqu’à la cité Robespierre. »

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