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vendeuse aux Galeries de France, cours Bertagna, puis dans une boutique
de chaussures.
Elle se lie d’amitié avec une fille de voisins arabes, un peu plus jeune
qu’elle, Doulette. Un soir d’été, par les portes et les fenêtres ouvertes afin
de récupérer un peu de fraîcheur, entrent des cris et des pleurs dans les
appartements. Tous les locataires se précipitent. Doulette vient de
recevoir un coup de marteau de sa mère en furie. « Amoureuse d’un
garçon de son âge, elle m’avait confié en larmes qu’elle refusait
d’épouser l’homme avec qui ses parents avaient négocié un mariage. Il
était très laid et beaucoup plus âgé qu’elle. Finalement, elle a cédé. Sa
petite sœur, Bela, déterminée, bougonnait : “Moi, on ne me fera pas ça.”
A-t-elle pu résister à la coutume ? J’en doute. »
L’appartement de la rue Bélisaire s’avère trop étroit pour cinq
personnes. Les Laplume dégotent un trois pièces, 2, place Maria-Fabre,
au deuxième étage. « Il s’agissait d’un meublé, mais nous n’avions pas le
choix. Nous avions tout laissé au Kouif et nos moyens ne nous auraient
pas permis de racheter du mobilier et de la vaisselle. »
Le quartier se vide de ses Européens. « Dans l’immeuble, nous étions
les seuls pieds-noirs. Nous avions très peur d’être égorgés. Le soir, on
poussait les meubles contre la porte d’entrée. En fait, nous étions
constamment sur le qui-vive. Quand, le matin, je partais au travail,
quand, le soir, je rentrais, je marchais la peur au ventre. Je me retournais
toutes les cinq minutes. Au cinéma, après la séance, j’attendais qu’il n’y
ait pratiquement plus personne sur le trottoir, devant la salle, pour me
lever de mon siège. Afin d’augmenter la quantité de leurs victimes, les
terroristes ciblaient de préférence les attroupements. Un jour, en 1960, où
j’étais allée danser, contre l’avis de maman, une grenade a rebondi sur la
piste. Elle n’a pas explosé. J’ai eu de la veine. »
31 juillet 1962. Ayant perdu tout espoir que, conformément aux
accords d’Évian, le FLN libérerait ses prisonniers, Josiane, sa mère, sa
sœur et son petit frère n’ont plus d’avenir en Algérie. Ils ont obtenu
quatre places sur un bateau qui lève l’ancre pour la métropole. « La mort
dans l’âme, nous abdiquions. Nos démarches n’avaient débouché que sur
des ronciers d’incompréhension. Les autorités françaises ne nous avaient
octroyé que de vagues réponses ou des renseignements sans
consistance. »