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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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Ayant tout tenté, tout espéré, les Pinto vont se résoudre à renoncer. Le

6 août, ils embarquent, le cœur déchiré, à bord d’un bateau qu’ils

surnomment L’Exodus. « Autour de nous, beaucoup de familles de

disparus. » Visages épuisés, ravagés par les épreuves, silhouettes

secouées par des sanglots. Regards perdus. À Marseille, leur dénuement

n’émeut personne. Pire, le maire socialiste, Gaston Deferre, et les

dockers de la CGT, qui ont déployé une banderole « pieds-noirs,

retournez chez vous », les traitent d’esclavagistes tout juste capables de

donner « des coups de pied aux fesses des Arabes ». La cité phocéenne

les rejette. Sur le quai, la Croix-Rouge leur offre un rapide verre de lait,

avant que des camions militaires ne les conduisent à La Rouguière, une

cité de la périphérie aménagée en centre de transit. Le lendemain, à

6 heures du matin, des haut-parleurs crachotent : « Bâtiment C, Auxerre ;

bâtiment D, Le Mans… » « Nous étions bâtiment C, nous avons eu droit

à Auxerre, où on nous a parqués dans un gymnase, équipé de lits de

camp. »

La famille du fiancé de Viviane s’étant établie à Marseille, les Pinto y

redescendent. « Il a fallu qu’on se débrouille. Maman, qui savait coudre,

broder et jouer du piano, dégotait, çà et là, des petits travaux à réaliser et

donnait des cours de musique. Totalement démunis, on ne mangeait que

le midi, des pâtes, pas le soir. » Perla Pinto décédera en mars 1989. Elle

sera inhumée à Marseille.

Viviane Pinto et Charles-Henri Ezagouri se marient en septembre. Ils

auront deux fils, Philippe et Joël, et un petit-fils, Adam. Viviane sera

sténodactylo, aide-comptable, mécanographe, opératrice de saisie sur des

ordinateurs. Mais, les images du 5 juillet 1962 l’obséderont sans répit, lui

imposant de fréquents arrêts de travail. « Les corps gisant dans des

flaques de sang, les traînées rouges sur les trottoirs, dans les caniveaux,

les cris… Une boucherie. Un employé de Charles-Henri a vu des types

jouer au ballon avec la tête d’un homme. Je suis traumatisée à vie.

Doublement traumatisée. Par la disparition de mon père dans cette Saint-

Barthélemy oranaise. Et par le black-out total qu’ont imposé les autorités

et les médias sur cette journée noire. Au nom de je ne sais quelles idées

progressistes et anticolonialistes, ils l’ont totalement occultée. La France

de De Gaulle a laissé mon père et d’autres se faire enlever. Elle les a

laissés se faire assassiner. Elle s’est rendue coupable de non-assistance à

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