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corps étendus sur le sol, au milieu des gravats. Les hurlements, les
plaintes. Les bris de verre. Les tables et les chaises renversées, éclatées.
Par miracle, nous n’avons pas eu une égratignure. »
L’engin avait été déposé dans les toilettes pour dames. Ce 24 janvier
1957 a marqué Michèle à jamais. Un traumatisme dont, des décennies
plus tard, elle n’est pas guérie. D’autant que l’actualité le ravive
régulièrement. « Aujourd’hui, il suffit que la radio ou la télévision
annoncent un attentat en France ou ailleurs, et les images de L’Otomatic
dévasté me reviennent. Odieuses. Insupportables. » Les deux jeunes filles
ne s’attardent pas dans ce lieu de la joie de vivre estudiantine que
quelques secondes ont suffi à métamorphoser en antre de la désolation.
Presque simultanément, l’enfer a traversé la rue Michelet et s’est
déchaîné à La Cafétéria, déjà cible de terroristes le 30 septembre
précédent. « Mauricette appréhendait de rentrer chez elle en retard. Très
stricts contrairement aux miens, ses parents l’auraient grondée. Nous
avons couru dans les rues que l’armée était en train de boucler. »
Autre date qui aurait pu tuer Michèle : le 26 mars 1962, rue d’Isly. Elle
participe à la manifestation de solidarité avec la population du quartier de
Bab el Oued, bouclé par l’armée. Elle défile en queue de cortège. « Au
niveau de la Grande Poste, j’ai entendu un officier ordonner : “Fermez la
manifestation !” Je n’ai pas oublié sa voix, ni son visage. Ils sont gravés
dans ma mémoire. Et j’ai reconnu le clic-clac des fusils qu’on arme. Une
amie et son fils m’accompagnaient. Je leur ai dit : “Déguerpissons !” Les
coups de feu ont commencé à pétarader. On a détalé à toute vitesse.
Autour de nous, des gens tombaient. À bout de souffle, on s’est accordé
une halte au niveau du Gouvernement général. »
Quatre ans auparavant, le 4 juin 1958, Michèle se pressait dans la foule
sur le Forum, avec son père, sa mère et des amis de ses parents. Au
balcon du Gouvernement général : la silhouette singulière du général de
Gaulle. Et ces mots : « Je vous ai compris ! », lancés aux milliers
d’Algérois qui l’acclamaient. Scandant « Algérie française ! Vive Salan !
Vive de Gaulle ! », ils croyaient que le nouveau président du Conseil les
protégerait. En fait, devant l’ambiguïté du discours, émaillé de phrases
pouvant prêter aux interprétations les plus contradictoires et de formules
alambiquées du style « français à part entière », le père de Michèle a
lâché : « C’est foutu. » « Pourtant, après l’indépendance, il est resté