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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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corps étendus sur le sol, au milieu des gravats. Les hurlements, les

plaintes. Les bris de verre. Les tables et les chaises renversées, éclatées.

Par miracle, nous n’avons pas eu une égratignure. »

L’engin avait été déposé dans les toilettes pour dames. Ce 24 janvier

1957 a marqué Michèle à jamais. Un traumatisme dont, des décennies

plus tard, elle n’est pas guérie. D’autant que l’actualité le ravive

régulièrement. « Aujourd’hui, il suffit que la radio ou la télévision

annoncent un attentat en France ou ailleurs, et les images de L’Otomatic

dévasté me reviennent. Odieuses. Insupportables. » Les deux jeunes filles

ne s’attardent pas dans ce lieu de la joie de vivre estudiantine que

quelques secondes ont suffi à métamorphoser en antre de la désolation.

Presque simultanément, l’enfer a traversé la rue Michelet et s’est

déchaîné à La Cafétéria, déjà cible de terroristes le 30 septembre

précédent. « Mauricette appréhendait de rentrer chez elle en retard. Très

stricts contrairement aux miens, ses parents l’auraient grondée. Nous

avons couru dans les rues que l’armée était en train de boucler. »

Autre date qui aurait pu tuer Michèle : le 26 mars 1962, rue d’Isly. Elle

participe à la manifestation de solidarité avec la population du quartier de

Bab el Oued, bouclé par l’armée. Elle défile en queue de cortège. « Au

niveau de la Grande Poste, j’ai entendu un officier ordonner : “Fermez la

manifestation !” Je n’ai pas oublié sa voix, ni son visage. Ils sont gravés

dans ma mémoire. Et j’ai reconnu le clic-clac des fusils qu’on arme. Une

amie et son fils m’accompagnaient. Je leur ai dit : “Déguerpissons !” Les

coups de feu ont commencé à pétarader. On a détalé à toute vitesse.

Autour de nous, des gens tombaient. À bout de souffle, on s’est accordé

une halte au niveau du Gouvernement général. »

Quatre ans auparavant, le 4 juin 1958, Michèle se pressait dans la foule

sur le Forum, avec son père, sa mère et des amis de ses parents. Au

balcon du Gouvernement général : la silhouette singulière du général de

Gaulle. Et ces mots : « Je vous ai compris ! », lancés aux milliers

d’Algérois qui l’acclamaient. Scandant « Algérie française ! Vive Salan !

Vive de Gaulle ! », ils croyaient que le nouveau président du Conseil les

protégerait. En fait, devant l’ambiguïté du discours, émaillé de phrases

pouvant prêter aux interprétations les plus contradictoires et de formules

alambiquées du style « français à part entière », le père de Michèle a

lâché : « C’est foutu. » « Pourtant, après l’indépendance, il est resté

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