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Docteur-Trolard. Puis, lycée Ben-Aknoun, un établissement francomusulman
au-dessus d’El Biar, à la sortie d’Alger. « J’ai eu un professeur
de français extraordinaire, l’écrivain Mouloud Mammeri. Il m’a appris à
aimer la littérature. Il y avait, environ, quarante élèves par classe, dont
seulement une dizaine d’Européens. Pas de barrière entre nous. »
La Toussaint Rouge creuse les premières fissures. Ses parents
possèdent une villa, baptisée Murat, au Club des Pins, une plage près
d’Alger, où elle retrouve une bande de jeunes. « Plus que des copains et
des copines, je les considérais comme mes frères et sœurs. La plupart
étaient des enfants d’amis de mes parents. Nous avions grandi ensemble.
Mes parents et ces amis étaient comme les doigts de la main. Les
hommes, je les appelais “mes oncles” et les femmes, “mes tantes”. Ma
famille de cœur. » Lorsque les adultes apprennent la série d’attentats
er
commis dans la nuit du 31 octobre au 1 novembre 1954, leurs visages
s’assombrissent. « Aux bribes de conversations qu’on captait, on devinait
qu’ils lisaient un mauvais présage dans les explosions et les mitraillages
qui, en quelques heures, avaient ébranlé divers points du pays. » Et ce
bandeau, en Une de L’Écho d’Alger, le 2 novembre : « Attentats
terroristes en Algérie : 8 morts ». Les émeutes du Constantinois, l’année
suivante, enfoncent davantage les adultes dans leur pessimisme. « À
partir de cette époque, la violence s’est propagée tel un poison. »
En classe de troisième, les « événements » rendant dangereux le trajet
entre Alger et El Biar, les Prudhon inscrivent Michèle au cours Michelet,
rue Michelet, leur quartier, celui de la jeunesse et des facultés. « Nous
habitions 24, rue Lys-du-Pac, derrière L’Otomatic. » Le 24 janvier 1957,
peu après 17 heures, ce bar de la rue Michelet, ainsi que La Cafétéria, en
face, et Le Coq Hardi, à l’angle de la rue Charles-Péguy et de la rue
Monge, sont ravagés par des bombes. Cinq morts et trente-deux blessés.
Ce jour-là, Michèle, qui s’efforce de vivre normalement malgré les
attentats, est allée au cinéma avec son amie Mauricette, qui habite
rue du Docteur-Trolard. Après la séance, elles s’offrent un
rafraîchissement au premier étage de L’Otomatic. « Nous étions assises à
notre table. Subitement, dans un vacarme assourdissant, tout s’est mis à
bouger au ralenti. Comme dans un film. Montant l’escalier, le serveur,
qui tenait un plateau de consommations, s’est soulevé, porté par le
souffle. J’ai crié à Mauricette : “Ça y est ! Une bombe !” Un carnage
effroyable dans un brouillard de fumée et de poussière. Le sang. Les