You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
« la boîte à chagrins » algérienne qui décidément lui causait trop de
tracas.
Qu’importe le prix en sang et en larmes. Le 5 juillet, Oran se couvrira
des hurlements d’hommes, de femmes et d’enfants égorgés, éventrés,
lynchés, enlevés. Les 18 000 hommes de l’armée française stationnés
dans le secteur ne bougeront pas, cantonnés dans leurs casernes.
Discipliné, leur chef, le général Katz, en poste depuis le 19 février 1962,
se bouchera les oreilles. Le 17 février 1989, interviewé par l’historien
Jean Monneret, il osera : « Je suis un soldat. J’avais une mission à
remplir. Je l’ai remplie, le plus humainement possible. Et ce que les gens
pouvaient penser de moi me laissait absolument indifférent […]. Des
Français d’Oran ont raconté n’importe quoi et continuent à raconter
n’importe quoi […]. Avec l’atmosphère du moment, la désespérance des
Français d’Algérie, ça peut s’expliquer, mais, que des années après, on ait
1
continué les affabulations, c’est malhonnête . »
En ce chaud été 1962, dans le centre d’Oran, les Pinto ne sortent plus
de leur appartement, 10 rue Léon-Djian. Représentant de commerce, le
père, Joseph Pinto, aux origines espagnoles, n’a quasiment plus de
revenus. Difficile de circuler et d’assurer les livraisons. Les clients ne
passent plus de commandes. Le fils aîné, Wilfrid, fait son service
militaire. Malgré son admission à la Sorbonne à Paris, l’armée lui a
refusé le sursis auquel il pensait avoir droit. Son prénom lui vient d’un
soldat américain avec qui son père s’était lié d’amitié après le
débarquement US en Afrique du Nord en novembre 1942. Les deux
autres fils, Jean-Louis et Paul, s’occupent comme ils peuvent dans
l’appartement. Quant à la fille, Viviane, dix-sept ans, elle assiste derrière
les volets fermés, au spectacle désolant de sa ville dont la radieuse
luminosité s’est ternie.
Elle est loin l’époque de son « enfance comblée, gâtée par ses parents
et ses grands-parents paternels et maternels ». La famille, « unie »,
e
habitait alors rue du Cirque, à proximité du boulevard du 2 Zouaves.
« Le bonheur… » Que n’ont brouillé ni la Toussaint Rouge en 1954, ni
les émeutes du Constantinois l’année suivante. Viviane a mesuré la
fragilité de ce paisible environnement lorsque son père a reçu un ordre de
mobilisation dans une unité de défense territoriale. Et l’insouciance de
son enfance n’a pas tardé à sombrer dans un carnage de coups de feu et