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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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cour de récréation, on me dit de retourner dans mon pays ? – Qui t’a dit

ça ? – Les élèves. » « Furieuse, ma mère a pris un rendez-vous avec la

directrice. Le face-à-face, houleux, a eu pour conséquence une

convocation des enseignants, que la directrice a chargés d’expliquer aux

enfants la situation des rapatriés. Cela n’a pas, pour autant, calmé les

adultes les plus agités. Ainsi, un père, excité, est venu à la maison,

exigeant que ma mère nous retire de l’école. Il refusait que de sales

pieds-noirs abîment sa progéniture. Ma mère, qui donnait à manger à

Nanou, lui a jeté, sidérée, le biberon à la figure. Elle lui a rappelé que ses

grands-pères avaient combattu en France durant la Première Guerre

mondiale et son père pendant la Seconde. Finalement, l’individu s’est

excusé platement. Et on ne m’a plus embêtée à l’école. Toutefois, en

ville, l’hostilité anti-pieds-noirs a perduré. On avait l’impression d’être

atteints d’une tare inguérissable, d’une maladie contagieuse, de causer

tous les maux de la planète. Plus tard, Nanou ne supportera pas de ne pas

être considérée comme une Française à part entière. Lorsqu’on

l’interrogera sur son lieu de naissance, elle répondra Orange et non

Oran. »

Geneviève regrette d’avoir offert à sa mère un livre sur « l’agonie

d’Oran », compilation de témoignages sur le 5 juillet 1962. « Tous les

soirs, elle me téléphonait : “Ce que ton père a enduré ! Le pauvre !”

J’essayais de la calmer : “Maman, arrête ! Tu te rends malade !” Elle

insistait : “Je veux savoir ! Je veux savoir !” On ne saura jamais où il a

été retenu, ni comment il a été tué, ni où son corps a été enterré. A-t-il été

jeté dans une des fosses communes du Petit-Lac ? Depuis, la zone a été

bétonnée. Connaissant la cruauté du FLN sur ses prisonniers, j’espère

que ses ravisseurs l’ont exécuté rapidement et qu’ils ne se sont pas

amusés à le torturer. Jusqu’à la fin, ma mère a terriblement souffert. »

Huguette Perez est décédée en 2003. Geneviève l’a inhumée à Frasnoy,

un village près du Quesnoy, commune du Valenciennois. « Elle souhaitait

qu’on l’enterre dans le cimetière où repose la petite sœur de mon père,

Léontine. Avant de mourir, elle m’avait donné une consigne : Sur la

tombe, il fallait que j’indique également le nom de son mari, sa date de

naissance et la mention “assassiné le 5 juillet 1962”. Le terme

“assassiné” ne me convenait pas. Je préférais simplement la date de sa

disparition. Elle m’a dit d’accord. »

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