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cour de récréation, on me dit de retourner dans mon pays ? – Qui t’a dit
ça ? – Les élèves. » « Furieuse, ma mère a pris un rendez-vous avec la
directrice. Le face-à-face, houleux, a eu pour conséquence une
convocation des enseignants, que la directrice a chargés d’expliquer aux
enfants la situation des rapatriés. Cela n’a pas, pour autant, calmé les
adultes les plus agités. Ainsi, un père, excité, est venu à la maison,
exigeant que ma mère nous retire de l’école. Il refusait que de sales
pieds-noirs abîment sa progéniture. Ma mère, qui donnait à manger à
Nanou, lui a jeté, sidérée, le biberon à la figure. Elle lui a rappelé que ses
grands-pères avaient combattu en France durant la Première Guerre
mondiale et son père pendant la Seconde. Finalement, l’individu s’est
excusé platement. Et on ne m’a plus embêtée à l’école. Toutefois, en
ville, l’hostilité anti-pieds-noirs a perduré. On avait l’impression d’être
atteints d’une tare inguérissable, d’une maladie contagieuse, de causer
tous les maux de la planète. Plus tard, Nanou ne supportera pas de ne pas
être considérée comme une Française à part entière. Lorsqu’on
l’interrogera sur son lieu de naissance, elle répondra Orange et non
Oran. »
Geneviève regrette d’avoir offert à sa mère un livre sur « l’agonie
d’Oran », compilation de témoignages sur le 5 juillet 1962. « Tous les
soirs, elle me téléphonait : “Ce que ton père a enduré ! Le pauvre !”
J’essayais de la calmer : “Maman, arrête ! Tu te rends malade !” Elle
insistait : “Je veux savoir ! Je veux savoir !” On ne saura jamais où il a
été retenu, ni comment il a été tué, ni où son corps a été enterré. A-t-il été
jeté dans une des fosses communes du Petit-Lac ? Depuis, la zone a été
bétonnée. Connaissant la cruauté du FLN sur ses prisonniers, j’espère
que ses ravisseurs l’ont exécuté rapidement et qu’ils ne se sont pas
amusés à le torturer. Jusqu’à la fin, ma mère a terriblement souffert. »
Huguette Perez est décédée en 2003. Geneviève l’a inhumée à Frasnoy,
un village près du Quesnoy, commune du Valenciennois. « Elle souhaitait
qu’on l’enterre dans le cimetière où repose la petite sœur de mon père,
Léontine. Avant de mourir, elle m’avait donné une consigne : Sur la
tombe, il fallait que j’indique également le nom de son mari, sa date de
naissance et la mention “assassiné le 5 juillet 1962”. Le terme
“assassiné” ne me convenait pas. Je préférais simplement la date de sa
disparition. Elle m’a dit d’accord. »