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Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

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En fin d’après-midi, des patrouilles de l’armée française et de la

gendarmerie ramènent le calme. Mais Joseph Pinto n’est toujours pas

parmi les siens.

Pendant des jours, Viviane, sa mère, et son frère Wilfrid qui termine à

Oran son service militaire (« l’armée française l’avait consigné tandis

qu’on assassinait son père ») vont le chercher. Au consulat de France, à la

préfecture, dans les bureaux de police, les casernes, dans les hôpitaux, à

la morgue… Ceux qui les reçoivent leur débitent un chapelet de formules

mille fois ressassé : « On fait le nécessaire. On vous tiendra au courant. »

Derrière ces phrases impersonnelles, « un mur de mensonges censé nous

tenir à l’écart, calmer notre désarroi ». Quelqu’un indique à Viviane et

Wilfrid que des civils, dont des blessés, sont détenus au stade dans des

conditions exécrables. Accès interdit. « Un soir, un gendarme

compatissant est venu chez nous avec des photos de victimes des

massacres. Il pensait que nous pourrions éventuellement identifier mon

père. Nous les avons examinées une par une. Tous ces cadavres, ces

visages boursouflés, défigurés par les blessures, maculés de croutes

brunâtres, c’était abominable. Mon père n’était pas l’un d’eux. »

Le 8 juillet, un crépitement d’arme automatique surprend Viviane et

son frère Jean-Louis dans la rue. Paniqués, ils courent se réfugier dans

une caserne de gendarmes mobiles. À l’entrée, le planton leur barre le

passage. Il lui faut l’autorisation de son commandant. « L’officier est

venu, en personne, nous accueillir. Encore ébranlé par le 5 juillet, il nous

a confié : “Je n’oublierai jamais mon impuissance face à cette tragédie.

J’entendais les appels au secours des civils qu’on égorgeait à l’extérieur.

Ils imploraient la clémence de leurs bourreaux. J’entendais les

hurlements, les coups de feu. Je ne pouvais que me taper la tête contre les

murs. Si nous étions intervenus, nous aurions eu les moyens d’empêcher

ces atrocités.” Ses supérieurs s’y sont opposés. Un poids qui a dû peser

longtemps sur sa conscience. »

Une photo de son père à la main, Viviane va arpenter les rues d’Oran

et accoster les passants. N’auraient-ils pas rencontré récemment cet

homme ? « Je n’ai pas obtenu le moindre indice. Même les Arabes

soupiraient : “Petite madame, vous ne le retrouverez pas. Le 5 juillet, ils

les ont tous massacrés.” Nous, on ne baissait pas les bras. »

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