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En fin d’après-midi, des patrouilles de l’armée française et de la
gendarmerie ramènent le calme. Mais Joseph Pinto n’est toujours pas
parmi les siens.
Pendant des jours, Viviane, sa mère, et son frère Wilfrid qui termine à
Oran son service militaire (« l’armée française l’avait consigné tandis
qu’on assassinait son père ») vont le chercher. Au consulat de France, à la
préfecture, dans les bureaux de police, les casernes, dans les hôpitaux, à
la morgue… Ceux qui les reçoivent leur débitent un chapelet de formules
mille fois ressassé : « On fait le nécessaire. On vous tiendra au courant. »
Derrière ces phrases impersonnelles, « un mur de mensonges censé nous
tenir à l’écart, calmer notre désarroi ». Quelqu’un indique à Viviane et
Wilfrid que des civils, dont des blessés, sont détenus au stade dans des
conditions exécrables. Accès interdit. « Un soir, un gendarme
compatissant est venu chez nous avec des photos de victimes des
massacres. Il pensait que nous pourrions éventuellement identifier mon
père. Nous les avons examinées une par une. Tous ces cadavres, ces
visages boursouflés, défigurés par les blessures, maculés de croutes
brunâtres, c’était abominable. Mon père n’était pas l’un d’eux. »
Le 8 juillet, un crépitement d’arme automatique surprend Viviane et
son frère Jean-Louis dans la rue. Paniqués, ils courent se réfugier dans
une caserne de gendarmes mobiles. À l’entrée, le planton leur barre le
passage. Il lui faut l’autorisation de son commandant. « L’officier est
venu, en personne, nous accueillir. Encore ébranlé par le 5 juillet, il nous
a confié : “Je n’oublierai jamais mon impuissance face à cette tragédie.
J’entendais les appels au secours des civils qu’on égorgeait à l’extérieur.
Ils imploraient la clémence de leurs bourreaux. J’entendais les
hurlements, les coups de feu. Je ne pouvais que me taper la tête contre les
murs. Si nous étions intervenus, nous aurions eu les moyens d’empêcher
ces atrocités.” Ses supérieurs s’y sont opposés. Un poids qui a dû peser
longtemps sur sa conscience. »
Une photo de son père à la main, Viviane va arpenter les rues d’Oran
et accoster les passants. N’auraient-ils pas rencontré récemment cet
homme ? « Je n’ai pas obtenu le moindre indice. Même les Arabes
soupiraient : “Petite madame, vous ne le retrouverez pas. Le 5 juillet, ils
les ont tous massacrés.” Nous, on ne baissait pas les bras. »