21.07.2022 Views

Algérie, les oubliés du 19 mars 1962

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

ennuyais. Mes notes s’en ressentaient. Pourtant je deviendrai

enseignante. »

La Toussaint Rouge, en 1954, et les émeutes du Constantinois, en

1955, n’écornent pas l’insouciance d’Anne-Marie, essentiellement

préoccupée par ses jeux et ses rêveries. Elle ne s’intéresse pas à

l’actualité, une affaire d’adultes.

En 1956, la famille déménage pour Oran, où l’adjudant-chef Benjamin

Mesmacque a été nommé à la direction des travaux du génie. Elle habite

11, rue Morse, dans un pavillon de la cité Protin, un lotissement militaire,

près d’Eckmühl et de ses arènes vouées aux corridas, symbole de

e

l’influence espagnole sur la cité depuis le XVI siècle.

En 1959, après avoir réussi le bac philo au lycée Ali-Chekkal d’Oran,

Anne-Marie est admise à l’école normale des filles, un ancien couvent

d’Eckmühl, où sa sœur a consolidé son avance d’un an. Là, Anne-Marie

prend conscience de la tension qui, peu à peu, détraque la ville.

« L’établissement n’était pas loin de la cité Protin, mais, tout au long du

trajet, je craignais d’être suivie. J’accélérais le pas au moindre soupçon.

Je n’étais pas tranquille, non, vraiment pas tranquille. »

1962. Les jumelles, institutrices à Tlemcen, enseignent dans une école

primaire de filles, récemment construite et baptisée Henri-Adès. « Les

accords d’Évian ? Franchement, nous évitions d’en parler. Nous

entretenions de bons rapports avec les Arabes de notre entourage. Nous

n’osions pas aborder ce genre de sujets. »

Lorsque l’indépendance de l’Algérie devient inéluctable, des mères

arabes, apprenant que les institutrices françaises vont bientôt être

rapatriées en métropole, les attendent à la sortie. « Elles nous

demandaient : “Que vont devenir nos filles ? Vous le savez, vous ? On

n’est pas sûre qu’elles pourront aller à l’école.” Elles ne nous

reprochaient pas d’être d’affreux colonialistes. »

À la fin de cette année scolaire 1962, Anne-Marie et France ne se

doutent pas qu’un pan de leur vie va se fracasser. Elles passent les

grandes vacances chez leurs parents, cité Protin. Christian a conservé son

caractère espiègle et blagueur, sans pour autant se montrer excessivement

désinvolte. Le 5 juin 1960, il avait reçu le brevet de secouriste de la

Croix-Rouge. Il aborde également avec sérieux son avenir professionnel.

Après un emploi de quelques mois à la DCAN Constructions navales, il

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!