Le Merblex

Imposer aux autres la pression qu’elle subissait était une
manière de se rassurer et de rentabiliser toutes ses années de
souffrance. Si elle avait dû renoncer à cette logique, tout ce
qu’elle avait enduré pour intégrer ce contraignant programme
lui serait apparu comme la plus vaine des expériences et l’aurait
sans doute plongé dans le plus profond désespoir.
« Est-ce que tu sais au moins pourquoi le bon dieu a fait les
pieds des femmes plus petits que ceux des hommes ? questionna
soudainement Léopold. Et, sans attendre une réponse…
– parce qu’elles peuvent se tenir plus près de l’évier quand
elles font la vaisselle… alors… tu vois…
La Bouche voulut répliquer, mais une douleur lui coupa net
le sifflet :
– Aïe ! Ach, gémit-elle en portant ses mains à l’une de ses
cuisses.
– Qu’as-tu ?
– Ach, Achss’c’est une crampe. Oh, que ça fait mal… Va vite
chercher l’eau de Cologne qui est sur la tablette de la salle de
bains, dit-elle en précipitant ses mots. M… J’y pense, y en a
presque plus je parie, continuait-elle d’une voix rauque. Il va
falloir que j’en rachète… encore un coup de cinquante balles ça,
ach ! »
Puis sautillant sur un pied et tordant les muscles de son visage
comme si elle y avait fait remonter sa crampe, elle regagna
son fauteuil, pour s’y laisser choir.
« J’ai peur de mes jambes, j’ai peur de mes jambes, répétait-elle
morfondue, comme s’il s’agissait d’une partie étrangère
et indépendante de son corps.
– Tu es toujours aux aguets, c’est pour ça que tu attrapes
des crampes. T’es trop crispée, faut te laisser aller de temps en
temps, argumentait Léopold en lui massant la patte.
– Oui, mais Léo’, le boulot il est là lui, il n’attend pas, on
dirait qu’il me tend les bras. La chambre des mômes est un véri-
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