Le Merblex

Les premières fois je n’y fis pas attention. La décorporation
se classait pour moi dans la catégorie des phénomènes naturels.
Même pas un rêve que c’était. Mais, à partir du moment où je
sus que j’avais l’exclusivité du truc, je devins très attentif aux
moindres de mes sensations. Je fini par décrypter les rythmes et
les règles de mes activités paranormales et bientôt, la faculté de
quitter puis de réintégrer mon corps, ne fut plus qu’un jeu
d’enfant. Un jeu vraiment très amusant.
Vivre à la fois des deux côtés du miroir développe
l’imagination, et les corrections ne sachant la réprimer, au contraire,
la stimulent. À force de vouloir me dresser pour me
rendre « comme tout le monde », Clara ne faisait que
m’encourager à cultiver ma différence.
« Au lieu de rêver, viens ici toi, tu vas me dépanner. Sans
rouspéter. »
Purée ça recommençait, le feuilleton ! Avec prises de becs,
et retenues en prime. J’époussetais les meubles d’une main
nonchalante, maudissant secrètement les ébénistes liégeois,
trop zélés à mon goût… Fallait voir les fioritures ! Que des trucs
à faire se pâmer les antiquaires. C’était pas le tout de sculpter
des détails, de ciseler au petit poil… Après fallait passer le chiffon
à la pointe de l’index pour tout faire reluire dans les
moindres recoins. Je les avais calibrés exprès pour ça moi, les
doigts… Un nid à poussières que c’était le ménage à force, avec
ce maudit charbon partout…
« Dis-donc toi, c’est comme ça que tu me dépannes ? T’as
décidé de me faire bondir ou quoi ? Il y a au moins dix minutes
que je t’observe. Allez, donnez-moi ça fainéant ! (Quand elle
commençait à me vouvoyer, on entrait dans une autre dimension,
valait mieux obtempérer, au monde…). Et ne soupirez pas
hein, je t’en ficherais moi des « je veux aller jouer »…
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