Le Merblex

Régulièrement, Clara interrogeait les agendas où elle
comptabilisait ses « rentrées » et ses « sorties ». Son visage
prenait alors une expression enfantine où l’anxiété apposait un
masque, dépeingnant la sécheresse des chiffres.
« L’argent, toujours l’argent, le « nerf de la guerre », remâchait-elle.
Même à table, elle ne pouvait s’empêcher de faire allusion
à nos maigres ressources. En revenant de chez le boucher,
elle déballait ses « biftecks », puis les jetait à plat sur la
table où ils claquaient comme des gifles, en annonçant :
« V’là l’bifteck ! Faites le durer, y’en a pour deux cents
balles ! »
Cela ne nous dérangeait pas mon frère et moi, dans la mesure
où le « bifteck » ne représentait pas pour nous une marchandise
de luxe, mais pour Léopold, qui avait plus que tout
autre mérité sa bidoche, une humiliation c’était. Il contenait sa
réplique, tandis que des éclairs de balles traçantes jaillissaient
de ses yeux. Il lui en fallait des nerfs pour mastiquer, c’était pas
du filet pur… En repassant les plats, la Bouche ne nous demandait
pas : « Tu en veux encore ? » Mais : « Tu n’en veux plus ? ».
Et puis, il y a une grosse différence entre manger des pommes
de terre ou des pommes dauphine. Les premières bourrent
l’estomac alors que les autres servent d’accompagnement aux
mets.
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