Le Merblex

s’arracher dans l’ailleurs, à Batanate ou n’importe quel bled,
pourvu qu’ça soit loin de notre trou ! D’ailleurs, les gens
z’heureux vivent toujours ailleurs, c’est bien connu. Calter, retrouver
le chemin d’Abydos où brillaient de mille feux les vitrines
des boutiques gorgées d’or, d’habits et de parfums capiteux.
Et nous porterions la nacre à nos oreilles, nous couvririons
nos visages de baumes embellisseurs et d’émulsions profondes.
Nos dents comme des perles scintilleraient au grand jour au milieu
de nos sourires, tandis que nos cheveux, porteurs
d’essences essentielles, flotteraient légers au vent du bonheur.
Ah, si elle avait voulu tourner la putain de roue de la fortune !
Elle aurait pu s’en payer alors des tubes de rouges à lèvres, la
mère ! Oui, un jour, ça nous arriverait, nous le voulions, nous le
savions… Ils le disaient à la radio, pourquoi s’affoler, tout doux
marionnettes, même les corbeaux doivent assumer leur corbisme.
En attendant le bonheur que nous promettaient les
prêtres de la publicité, fallait sortir dans la cour pour nos petits
besoins, et la température dans notre chambre au plus fort de
l’hiver descendait à moins cinq.
La Bouche se levait toujours la première. Elle préparait le
fricot de Léopold, puis c’était à notre tour de venir tremper nos
tartines de sirop de Liège dans le café du Brésil. Un lit pour
deux, c’est pratique pour réchauffer les dernières secondes
d’jitssables de la matinée. C’est ce que l’on se disait Phil’et moi,
blottis dos à dos, au creux du matelas aux frontières glaciales.
De notre chambre, nous percevions tous les bruits en provenance
de la cuisine, et ceux d’une forge eurent été plus harmonieux.
Toute la question était de savoir si nous allions commencer
une journée « mère calmée » ou « mère agitée ». Clara déplaçait-elle
les objets qui lui passaient entre les mains avec douceur
? Le son le plus symptomatique (Saint-Ptôme, priez pour
nous) de ce vivant baromètre était celui de la bouilloire se fracassant
sur la taque de la cuisinière, lorsqu’elle versait l’eau sur
le café. Un petit « toc » nous promettait la « mère calmée ». Les
« bam-tac » annonçaient inéluctablement une journée hou-
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