Le Merblex

– C’est parce que, juste avant ma communion à moi, mon
papa, il est mort. Alors, de vous voir comme ça… ça m’a…
– Mort ! ?
– Oui, on n’oublie pas ces affaires là, savez-vous. Il est décédé
dans la même semaine.
– Qu’est-ce qu’il avait ?
– Il a eu une crise, on l’a transporté à la maison, puis il est
parti dans l’après-midi, mon papa. J’ai bien cru devenir folle.
C’était un homme gentil et bon. Quand il achetait de la soie, il
en ramenait toujours à votre grand-mère et à moi. Il enfonçait
tout un coupon dans la pochette de son veston et n’en laissait
dépasser qu’un petit bout, il s’approchait de moi et me demandait
de tirer dessus… Alors tout doucement, je tirais, je tirais…
et je tirais… et ça n’en finissait pas, plus je tirais… plus il en sortait,
plus grand qu’un drap de lit, qu’il en avait dans sa poche
papa, de la soie… ah oui da.
– Pleure pu… tu vas la refaire avec nous ta communion assura
Philippe.
– Oui, c’est ça, avec vous deux mes petits et toi le grand,
qu’est-ce que tu dis ?
– D’accord, d’une pierre trois coups, que j’ai glissé.
– Bon, votre tante vient ce week-end, c’est pour votre cadeau
de communion, tâchez de ne pas y aller trop fort, hein ? »
On ne l’avait jamais vue comme ça notre mère, la reine des
Merblex que c’était. On se promit alors de ne plus jamais
l’appeler Grosse Nasse.
« Qu’aimeriez-vous avoir pour vosse communion, nous
demanda la tante Léopolde ? en trempant avec componction sa
brioche dans le café qu’on venait de lui servir. Nous avions déjà
tout manigancé, mais nous n’osions pas annoncer la couleur.
Nous nous contentions de nous tapoter du coude en observant
– 140 –