Le Merblex

de faire de ce monde la sphère des vivants. Ah, s’ils s’étaient décorporés,
ne fut-ce qu’une seule fois… sans doute auraient-ils eu
comme moi, rivé au corps, l’amour des bénéfactors. À tant réfléchir,
autant à peine, aux peines, au temps, on ne voit pas passer
le temps. Enfin une idée qui consolait.
La chambre commune que j’occupais, dans la région des
pauvres, baignait dans une lumière rose. Un petit crachin de
mercurochrome formait des vaisseaux sanguins, qui d’jitssaient
jusqu’en bas des vitres, en dégueulando. Le jour saignait. Y valait
mieux garder pour moi ces choses-là…
« C’est parce que ton autre œil est injecté de sang, m’assura
maman…
– Alors valet, tu as bien dormi ? questionna Léopold, tout
sourire.
– Sais-tu bien que tu l’as échappé belle, avec ton œil… Heureusement
que le docteur est un as fit Clara.
– Ca va mieux, on dirait, tu seras bientôt sur pieds balbutiait-elle
pour s’en convaincre elle-même. Faudra faire attention
seulement… Tu n’en as plus qu’un, d’œil… s’il t’arrivait un autre
accident !
– C’est toi qui dois faire attention, au monde…
– Quoi ? Qu’est-ce que tu… Je ne comprends pas, souffla-telle.
– Utiliser le verbe magique à tort et à travers, c’est dangereux,
parce qu’après, ça arrive, au monde.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Les pensées et les paroles forment autour de la terre une
ceinture qui conditionne toute la vie.
– Mon pauvre petit… il est encore sous l’effet de
l’anesthésie, affirma Clara, sans oser pousser plus avant
l’analyse de mes propos.
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