Le Merblex

« Bon, c’est bon… N’oublie pas que c’est grâce à moi que tu
vas sur les bateaux, dit-elle en apposant sa griffe sur le contrat
de la compagnie maritime. Je pouvais mettre les voiles. Adios
les ploucs ! Ohé les gars de nariiiine… »
En attendant ma convocation pour l’enrôlement, je passais
de longues heures avec Cécile, mon premier flirt. C’était une fille
délicate, charme et noblesse naturelles. Brune aux yeux verts,
les hanches larges, les jambes finement sculptées, les pieds menus
et bien cambrés ; elle était en tous points semblable à mon
Isis imaginée. Un après-midi, je l’amenais à la maison. Elle accepta
d’entrer dans ma chambre pour s’allonger sur ce lit où
jusque là, je n’avais couché qu’avec mon frère. Je l’ai bien chauffée,
lissée sur toutes coutures. Elle soupirait de toute son âme,
son acné fondait à vue d’œil. Manque de bol, le fater rentra plus
tôt que prévu et surprit nos embrassements. Les yeux cernés et
les tempes roses, nous vînmes nous asseoir sur le canapé du salon.
Nos pensées flottaient comme des algues qui cachaient le
fond des choses. On s’attendait à de graves reproches, faut reconnaître.
Ben non, Léopold sortit une bouteille de liqueur de la
vitrine qu’on ouvrait que pour les grandes occases, puis, tranquillos,
il remplit trois verres. Il se mit à parler de la truie et du
beau sang, des mouches tsé-tsé, des fourmis géantes et des serpents
à sornettes, à quoi faudrait que je fasse absolument gaffe
lorsque je serais dans la brousse. Ca lui ressemblait pas cette
jactance à Léopold... Y trouvait pas ses mots, puis y repartait sur
la « société des termites », un article qu’il avait lu dans le Reader’s
Digest, un abonnement qu’il avait avec la science et tout et
tout… Y’avait pas mieux comme déclaration d’amour. Un vrai
Japonais que c’était mon père. L’heure du retour de Clara approchant,
il reconduisit Cécile sur le seuil de la maison, où je
l’embrassais encore. Lorsque je fus seul avec lui, sans me regarder,
il souffla :
« Je ne le dirai pas à ta mère hein valet, t’as compris… arrange-toi
pour que ton frère n’en sache rien… »
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