Le Merblex

d’hôtel répartit les rôles et confia à chaque garçon de cabine, un
trousseau complet de parfaites femmes de ménage. Heureusement
avec Clara j’avais été à bonne école. En conséquence, il me
serait moins pénible qu’à certains d’astiquer. Nous étions une
vingtaine de stewards et à peu près autant de cuisiniers pour
servir environ deux cents passagers, voilà qui était assez impressionnant.
Au début, l’euphorie des premiers mouvements
de roulis aidant, chacun fraternisait avec ses compagnons de
cabine. Puis, le vide des soirées engendrant les confidences, tout
le monde se reconnut bientôt comme étant sorti des mêmes
eaux et les caractères commencèrent à dévoiler leurs véritables
faces. C’était à qui « entuberait » le mieux les autres, à qui se
débrouillerait pour chaparder au voisin ce qui lui manquait. Par
ailleurs, je m’aperçus qu’autour de moi, bourdonnait un essaim
de « guêpes ». Jamais je n’en avais vu de près… Cependant, ma
curiosité n’allait pas jusqu’à me laisser butiner ; d’instinct je
marchais à reculons, moi. Dans leurs bouches, les mots
n’avaient plus le même sens. Ils proposaient des adjectifs et
modifiaient l’accord des participes de manière si provocante
qu’ils parvenaient toujours à scandaliser l’entourage, hormis les
Flamands roses, bien entendu… Mais si les guêpes n’avaient été
là, l’ambiance à bord eut beaucoup laissé à désirer, faut reconnaître.
Charlotte, qui essayait de me conquérir, prétendait que
tout individu en était « une » qui s’ignore. Jusqu’à preuve du
contraire, j’en étais aussi. Il me démontra que les gens les plus
raffinés, les plus cultivés du monde, étaient généralement
« comme ça ». Il me cita Platon, Socrate, Verlaine, Oscar Wilde
et un tas de gens célèbres. Il essaya aussi de me faire croire
qu’Akhnaton lui-même était la « plus grande folle » que la terre
des pharaons ait connu.
« Tu verras, tu y viendras ma petite Henriette et tu seras
fière d’en être, parce que nous avons en commun cette sensibilité
unique qui fait de nous des magiciens, des gens attractifs,
admirés, dont on recherche la compagnie. Même les femmes
nous courtisent.
– Oui, mais il y’a aussi plein de gens qui vous jettent.
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