Le Merblex

XXI
Sur le coup de minuit, Merblex Ier arrivait sur les docks et
elle était là ! Elle était là, ma barque solaire, majestueuse, insubmersible.
Je n’avais plus que la passerelle à franchir pour me
trouver à son bord. Je m’assis sur une bitte et je contemplai le
monstre d’acier. Une force irradiante et invisible m’effleura. Je
me retournai brusquement, pensant que quelqu’un s’approchait
de moi. Rien ! Je voulus me lever, mais la force se mit à peser
sur mes épaules. Alors une voix féminine très douce articula ces
mots dans mon oreille interne :
« Tout voir, tout entendre, ne rien dire.
– Qu’est-ce que vous dites balbutiai-je ?
– Trois petits singes, trois petits singes, répondit la voix. »
C’était Maât, j’en étais sûr. Je m’assurais que personne ne
m’avait entendu puis, je gagnais la passerelle, ivre du cœur.
À l’aube, la coque du M/S Charlesville se mit à résonner de
voix et de bruits sourds. Tandis que les girafes achevaient
l’affrètement, les passagers et l’équipage embarquaient. Quand
notre arche fut pleine, la ligne de flottaison disparut sous les
eaux troubles du bassin et les ordres d’appareillage commencèrent
à fuser d’une passerelle à l’autre. Chaque homme du bord
se sentait aussi indispensable que les organes d’un même corps,
dans un monde hors du monde… Se savoir ainsi reliés leur conférait
de la dignité et donnait du sens à leur vie. Le jour se dépliait
en même temps que nos bagages et chacun s’observait.
Nous allions naviguer, mais avec qui ?
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