Le Merblex

III
Léopold, mon père, en instance de divorce, n’avait pu me
reconnaître à la naissance, la législation ne le lui permettant
pas. J’étais un « enfant naturel », comme on dit, contrairement
à mon frère Philippe, né deux ans plus tard dans le mariage, enfant
légitime. Pour l’administration, nous étions des étrangers.
Mais cela m’était alors indifférent. Le jour des noces, je barbotais
en faisant « bvulup’bvulup’bvulup » entre les piles
d’assiettes, vestiges d’un banquet à côté duquel les agapes du
grand Ramsès n’étaient qu’un en-cas.
Pendant que les mariés se pelotaient, ne sachant trop quoi
faire de mon corps, j’allais enterrer les os de poulet au fond du
jardin. Ca serait du préhistorique que l’on découvrirait à la résurrection
des morts… même si les morts n’ont pas toujours besoin
de ressusciter pour vivre ; la preuve, y a des vivants que
l’on enterre pour morts et des morts vivants. Ils se reconnaissent
au manque d’éclat de leurs yeux, ce qui en dit long sur la
sécheresse de leur cœur.
Au début de leur union, nos parents n’avaient pour toute
fortune qu’un baquet en fer blanc et quelques ustensiles de cuisine.
Le reste de leur petit ménage avait été prêté par les voisins,
toujours prêts à rendre service. On est belge ou on ne l’est pas.
Chaque samedi matin, maman s’employait à faire chauffer une
quantité impressionnante de liquide, avant de nous plonger à
tour de rôle dans le grand baquet, où elle nous administrait le
bain hebdomadaire. Moi, j’étais toujours propre, je ne voulais
jamais me baigner, non parce que j’avais peur de l’eau, mais à
cause de Clara, qui me tannait littéralement l’épiderme avec un
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