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Le Merblex

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table de la cuisine. Après avoir servi à boire et à manger toute la<br />

journée, je trouvais assez délirante la façon dont elle m’imposait<br />

ma boustifaille. Il m’apparut alors que je ne serais vraiment<br />

libre que le jour ou je pourrais décider entièrement de ce qui entrerait<br />

ou sortirait de ma bouche.<br />

Clara se levait la première comme à l’accoutumée et je ne<br />

m’étonnais jamais de ce qu’elle m’ait fouillé les poches… manie<br />

qu’elle exerçait comme un droit. Une fois, j’eus l’audace de me<br />

rebiffer, mais le lendemain elle se vengeait en faisant disparaître<br />

mes albums d’archéologie. Ah Clara, j’aurais voulu que tu<br />

meures pour cela.<br />

<strong>Le</strong> jour de mon congé, je m’enfermais dans ma chambre et<br />

je m’exerçais à la technique du « dédoublement » ; c’étaient ça<br />

mes sorties. Je m’installais devant le miroir de ma chambre et<br />

me regardais fixement au fond des yeux, jusqu’à ce que mon<br />

image s’étire comme de la guimauve. Sors ! que je me répétais,<br />

sors !<br />

Au cours de ces séances de dédoublement, il arrivait que<br />

mon système pileux se hérisse comme une forêt d’aiguilles. La<br />

peur de ne pouvoir revenir s’emparait de moi ; il fallait alors<br />

remettre l’expérience à une autre fois.<br />

Lorsque je franchissais correctement les étapes, je sentais<br />

mon corps devenir semblable à un tricot à larges mailles… Je<br />

me faufilais hors de ma peau, mon cœur surgissait de l’abîme<br />

avec plus de vitesse que la lumière et avec plus de zèle qu’un<br />

chien de chasse. De l’autre côté, libéré du monde des marcheurs<br />

sur pieds, je bâtissais sur les déserts de mes jours une Maisonde-Vie<br />

remplie de musique. Je vivais dans le sourire et je voyais<br />

dans l’horizon pour des millions d’années. Je triomphais de la<br />

comédie du bonheur et je repeignais en rose les taches de sang.<br />

Alors, j’étais un dieu du devenir, intact dans mon être multiple<br />

et plus personne ne pouvait me ravir mon cœur.<br />

– 214 –

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