Le Merblex

XIII
« Fini de trimer pour la poche des autres, maintenant ça
sera pour la mienne » annonça Clara, en omettant de compter
les « autres » dans le sujet de sa phrase.
Elle disait : « Ma maison, mon jardin, ma voiture », plutôt
que notre… mais il eut été erroné de mettre ses écarts de langage
sur le compte d’un égoïsme démesuré, c’eut été en même
temps oublier de reconnaître son sens du dévouement. Non,
simplement, elle s’impliquait si fort dans tout ce qu’elle faisait
qu’elle s’identifiait à la fonction ; de toutes façons, les « mots caresses
», elle savait pas les dire, elle en avait trop peu reçu pour
elle-même. Trêve de merblexeries, la germination recommençait…
c’était ça, le plus important.
Nous allions déménager, Clara dirigerait une épicerie cette
fois, « moderne » bien entendu, avec des pommes, des poires,
des carottes, des haricots, des petits-pois frais, des en boîtes,
des en bocaux… une balance avec des poids pour peser les petits-pois,
un fil à couper le beurre, un autre pour le roquefort…
une sonnette qui fait « ding ding » quand les frangipanes du
quartier viendraient se ravitailler en racontant leurs salades…
Cot’cot’cot’cot’cot’codak… Je les entendais déjà caqueter, moi…
Elle avait même déjà trouvé le nom du magasin, Clara : « À la
Poule aux Œufs d’Or » ! Ça, c’était une enseigne ! Ça changeait
des rapaces au moins ! C’était la bonne image ! Et Léopold
peindrait même sur la vitrine une belle cocotte toute blanche en
pleine couvée, si elle voulait.
« J’ouvre le 13, c’est un vendredi et c’est mon chiffre » décréta
Clara.
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