Le Merblex

– Les Juifs portent l’Orient dans leur cœur, même lorsqu’ils
vivent au nord du monde. Rassure-toi Ankheri, tes parents
seront épargnés. Ils sortiront d’Allemagne dès qu’elle sera
enceinte, et passeront en Suisse.
– Je ne veux pas être Juif, même en Suisse ! Je n’en ai pas
le courage.
– À quoi servent donc mes conseils ?
– Mais Anagra, vous n’y êtes pas, j’en ai moi-même fait
souffrir sur ordre de Pharaon autrefois… Ils vont se venger !
– Il n’y a pas de place pour la vengeance dans le cœur d’un
Juif, Ankheri, seulement la justice de Maât. L’éducation que
ceux-là te prodigueront t’apportera les connaissances nécessaires
à ton évolution. Ils t’aideront à te dépasser… N’est-ce pas
ce que tu veux ? Place-toi au milieu de ce couple, et au terme de
cette nouvelle existence, tu revêtiras ta tunique de lumière.
– Je suis prêt à affronter l’existence par son versant le plus
abrupte, mais pas circoncis… je vous en prie…
– Et Ptâh ! Après tout, incarne-toi où tu veux ! Ah si seulement
tu perdais tes habitudes de petit scribe… »
Lorsque l’armée Rouge entra en Allemagne, elle se mit en
devoir de libérer les prisonniers de guerre. Les Soviétiques les
emmenèrent d’abord jusqu’à la mer Baltique, avant de les rapatrier
vers leurs pays d’origine. Ils furent ainsi des milliers à
marcher en colonne durant plusieurs mois, sous les invectives
de gardes chiourmes sans pitié. C’est dans une de ces colonnes
que je choisis mon père : un jeune Wallon de vingt-cinq ans, du
nom de Léopold. C’était un juste qui n’hésitait jamais à relever
un camarade épuisé, ce pourquoi je l’aimais bien.
À tout moment, les chars soviétiques traversaient avec fracas
le fleuve humain, écrasant dans leurs manœuvres brutales
quiconque n’avait pas le réflexe de se mettre à couvert. De
toutes parts crépitaient les « sulfateuses » et le spectre de la
– 14 –