Le Merblex

« C’est très bien, va dormir… Mais la prochaine fois que tu
oublieras de dire bonsoir… je t’égorgerai pendant ton sommeil
! »
À dix ans, j’avais encore pas domestiqué mon imagination
poulopante ; sans doute est-ce pourquoi il m’arrivait de pioncer
avec un couteau de chasse sous l’oreiller. Toutefois, la Bouche se
contentait de jouir des terreurs que m’inspiraient ses sentences.
Pas d’affolement, dors bien petit loup…
Lasse de me corriger à mains nues, elle demanda à Léopold
de lui fabriquer un martinet. Cédant aux plaintes de sa blonde,
il finit par lui en confectionner un très chouette. Elle ne s’en
servirait qu’en cas d’extrême nécessité ou comme arme de dissuasion,
qu’elle disait… Mais dès que nous lui tapions un peu
trop sur le système : chlâk ! les cuisses !
« Attention, la moutarde me monte au nez ! » annonçait la
Bouche, contenant son vinaigre.
Cela lui arrivait si fréquemment qu’on aurait pu la mettre
en pot. Clara avait invité un couple à venir prendre le thé à la
maison, ce jour-là… L’occasion était trop belle pour ne pas balancer
mon message… Je me saisis du martinet, dont j’avais
trouvé la cachette puis, je m’en flagellais les cuisses à tour de
bras, défiant ainsi toute la ville de Dijon.
« Tu peux y aller, tu vois ? Clâk ! J’ai pas mal ! Je sens rien,
que je beuglais, moi. »
Fallait voir la Bouche : la moutarde lui dégoulinait des nasaux…
ça giclait de partout, sur les meubles, les murs… On pataugeait
littéralement dans la mouscaille, y faisait plus à respirer.
Collés comme des méduses dans leurs fauteuils, les invités
s’esbulaient, ne sachant pour qui prendre parti…
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