Le Merblex

mer, je l’essorais à fond les manettes. Sur le cap d’aventure, je
fonçais moi ! En barque solaire en plus ! La vraie, à crever le
duat…
L’Etoile d’Orient n’embarquait que cinquante passagers, ce
qui ne réduisait pas pour autant le travail à bord. Mes compagnons
ressemblaient davantage aux marins légendaires que ne
l’étaient ceux de ma première traversée. Ils avaient bourlingué,
cela se voyait rien qu’à leur façon de marcher, les jambes écartées
et les coudes éloignés du corps. S’ils parlaient peu, ils juraient
et rotaient sans vergogne, toujours prêts à prouver leur
force en jouant au bras de fer. La plupart étaient capables de
s’entretuer pour défendre l’idée la plus débile, du genre : « Tu
vas voir si je suis un enc…, ou un fils de p… ». J’avais tiré de
bonnes leçons de mon précédent voyage, donc pas question
qu’on me fasse mousser à ce genre de truc. Sauveur Mathéoni
m’avait à la bonne, il m’offrit dès le départ sa protection,
moyennant l’échange de ma ration de bière et quelques petites
corvées dont il se déchargerait sur moi. Après avoir eu un aperçu
des mœurs en vigueur à notre bord, j’acceptais cette proposition
sans hésiter. Le jour où Van Beukelaert me brisa une bouteille
sur le crâne en m’accusant d’avoir triché au rami, je mesurais
l’utilité de notre arrangement. Il m’accompagnait même
aux douches, cela m’évitait de batailler avec les folles du bord,
plutôt voraces, qui me convoitaient comme une langoustine. En
fait, sur un cargo, on menait à peu près la même existence qu’en
prison, les rapports de pouvoirs et la promiscuité étant pour
ainsi dire identiques, foi de Mathéo.
Plusieurs femmes seules voyageaient sur l’Étoile d’Orient.
Elles allaient rejoindre leurs maris en poste à Alger où au Caire,
ce qui donnait lieu à d’importants paris entre ceux qui cherchaient
à « s’en faire une »… Il y avait aussi quatre religieuses,
trois d’entre elles étaient très jeunes, sans doute venaient-elles
de prononcer leurs vœux car elles portaient des habits neufs.
C’est sur l’une d’elle que Mathéoni avait jeté son dévolu. Vu la
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