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Le Merblex

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le droit d’être jeune. Mon visage était le disque solaire de Râ. Je<br />

retrouvais ma patrie cosmique et mon cœur était content. Je<br />

contemplais la belle ordonnance du jour et j’entrais dans mon<br />

horizon. Ma barque remontait les eaux du fleuve sacré, vers les<br />

domaines que j’étais seul à connaître et où personne n’avait le<br />

droit de me juger. Derrière mes yeux, j’accomplissais la grande<br />

métamorphose et je devenais un grand pharaon attendant son<br />

jour de révolte.<br />

Pour les grandes vacances, il avait été décidé que Phil’et<br />

moi serions expédiés chez la « reine mère », comme disait la<br />

Bouche. Avant la guerre, grand-mère appartenait à la haute<br />

bourgeoisie rennaise. De son passé aisé et romanesque, elle<br />

n’avait hérité que sa prestance, un beau port de tête et de belles<br />

manières. Elle était tombée amoureuse d’un gentleman napolitain<br />

plutôt prospère ; celui accroché en costume trois pièces et<br />

borsalino au-dessus de la cheminée… l’homme de sa vie qu’elle<br />

disait. Il était négociant en tissus, toujours en voyage autour du<br />

monde… Quand ils se sont rencontrés, ils décidèrent de ne plus<br />

se quitter pour vivre à fond les manettes un grand roman<br />

d’amour, dont ils écrivirent les pages entre Londres, Paris et<br />

Saint Petersburg… Il n’est pas un wagon-lit, une cabine de paquebot<br />

qui ne connut en ce temps-là leurs étreintes. Ils étaient<br />

de passage en Belgique quand la guerre éclata. <strong>Le</strong> senior Corsione<br />

(nom de mon grand-père) repartit seul pour ses affaires,<br />

tandis qu’elle attendait son retour « pénélopiquement » à Namur<br />

avec les quatre enfants que son rital lui avait faits. Elle demeurait<br />

dans une sorte de manoir, entouré d’un immense verger<br />

nous garantissant de mémorables coliques, le paradis terrestre…<br />

Tous les matins, grand-mère s’en allait au fond de la propriété<br />

porter le fourrage à ses lapins, lancer le grain aux poulets<br />

en piaillant : « piti, piti, piti… ». Elles se carapataient dans tous<br />

les coins les volailles. On ne les soignait pas par hasard, elles le<br />

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