Le Merblex

duat l’avait bouffé avant même que l’on se connaisse. Au reste,
stewards et cuisiniers formaient à bord deux sociétés si distinctes
que nous ne nous connaissions pas les uns les autres,
même après toute une traversée.
Les passagers prirent leur dernier petit déjeuner avant de
débarquer en distribuant des pourboires. Mais la tension provoquée
par le « regrettable accident » rendait les sourires difficiles
et les politesses hors de prix. Quant aux maîtres d’hôtels,
ils distribuaient les tours de garde sans plus faire de sentiment.
Dès que notre arche fut à quai, une horde de noirs aux yeux
jaunes et dilatés se lança à l’abordage de nos poubelles. Ils y
piochaient avidement, au mépris des mégots, bris de verre et
autres détritus…
« Donne, donne patron. Donne du tchop-tchop suppliaient-ils,
tendant vers nous leurs membres décharnés. »
Fallait voir, on avait honte de nous… Ils proposaient leurs
femmes, leurs filles, en échange d’un paquet de cigarettes ou
d’une chemise blanche qui leur donnerait un semblant
d’apparence Occidentale, contaminés par notre civilisation criminogène…
Pendant ce temps, les gradés revendaient à prix d’or une
partie du fret aux coloniaux. En cuisine, on ébouillantait des
quintaux de langoustes, qui seraient transbordés dans les voitures
d’acheteurs clandestins, lors du passage de l’écluse
d’Anvers. Pendant que tout ce petit monde était occupé à se
remplir les poches, en toute illégalité, je gaspillais le peu que
contenaient les miennes, me laissant plus souvent attendrir par
l’indigence des marchands que par les objets qu’ils
m’imploraient d’acquérir. La prostitution, à première vue,
n’existait pas. Puis, quand on se documentait un peu, on
s’apercevait que tout ce qui portait le boubou était en puissance
une petite industrie. La plus inattendue des mamies pouvait en
quelque lieu que ce soit, proposer une partie de fouki-fouki.
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