Le Merblex

Je vins au monde « par le siège », ce qui éprouva la santé
de ma mère et entama dès le départ mon capital d’affection. Né
accroupi, dans la position d’un scribe ! Dès lors, pouvais-je être
autre chose qu’un antagoniste, contrairement aux dits « congénères
» dont la parution sur terre s’accomplit tête baissée, soumis,
déjà quantifié dans la normalité… j’exagère. Venir au
monde en lui montrant son derrière, il en faut un peu plus pour
être différent, mais cela m’amuse quand je m’interroge sur le
sens de ma vie.
Le jour de ma première sortie à l’air libre, toutes les « frangipanes
» du quartier accoururent pour m’évaluer. Elles se penchaient
sur mon landau, répétant invariablement : « Qu’il est
beau, comme il a de grands yeux ! »
Si mes yeux étaient si grands, c’est qu’ils voyaient le
monde. À dire vrai, les yeux ont dès la naissance leur taille définitive.
En somme, les Merblex poussent autour de leurs yeux.
Ne faut-il pas qu’il en soit ainsi pour séparer dès la première
heure, ombre et lumière, haine et amour, en brûlant toujours ?
Les yeux sont aussi les organes qui distinguent le mieux les
Merblex des autres invités sur notre planète. Mais revenons à
elles, qui, toutes en mamelles, s’époumonaient d’admiration devant
ma Maison-de-Vie, chaude et fripée, support à peine éclos,
innocent embryon, dont les délires et les fantasmes allaiteraient
bientôt le néant mental.
Et moi, dans ma gomme, je hurlais, déjà visionnaire. Leur
reprochant sans doute de m’avoir produit sur la scène du
monde, où je ne serai jamais qu’un immigré céleste. J’aimerais
pourtant croiser dans leurs eaux limpides et naufrager en elles,
en cette traversée qui va du ventre matériel au ventre éternel.
Oui, c’est une traversée. Mais l’œil, lui, est déjà grand.
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