Le Merblex

d’assister à l’endormissement de mes facultés pensantes, je restais
à l’état de veille, puis je me déboîtais… Ça me faisait tout
drôle de contempler ma forme physique depuis le pied de mon
lit, exactement comme s’il s’agissait d’un étranger. Je pris ainsi
peu à peu conscience de mes deux corps.
« Allez grouille ! Regardez-moi ça, à son âge ! Ça se lève et
ça dort déjà, dit-elle, en me provoquant du couteau de sa
langue.
– T’es qu’un dormeur, renchérit Philippe.
– Dis, comment ça s’fait qu’on peut être à deux endroits
différents à la fois ?
– Tu dérailles ma parole !
– Non, j’me regarde toujours dormir.
– T’auras rêvé et si tu le racontes, on t’enfermera.
– Non, j’ai pas rêvé, ça m’le fait souvent.
– Ben, il ne manquait plus que ça ! Voilà qu’y’s’dédouble,
lui maintenant ! Ah mon Dieu que vais-je en faire de celui là…
– J’ai mal à ma tête.
– C’est pas possible Merblex, t’as rêvé, on n’est pas en
double.
– Tiens, avale-moi cet aspro, tu ne la sentiras plus comme
ça, ta tête.
– J’m’en fous… moi, je sais qu’il y a quelqu’un dans ma
Maison-de-Vie…
– Qu’est-ce que tu es encore en train de nous sortir là,
hein ? « Maison » de quoi, t’as dit ? aboyait la Bouche.
– Maison-de-vie… c’est comme ça que je l’appelle moi, mon
corps…
– Au lieu de te dédoubler, tu ferais mieux d’étudier, sinon
c’est ton année que tu vas doubler, martelait-elle. »
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