13.06.2013 Views

Traiter les traumatismes psychiques : clinique et prise en charge

Traiter les traumatismes psychiques : clinique et prise en charge

Traiter les traumatismes psychiques : clinique et prise en charge

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

© Dunod – La photocopie non autorisée est un délit<br />

PSYCHOTHÉRAPIES PSYCHODYNAMIQUES 173<br />

Julie<br />

Julie était dans la rame du RER où a explosé la bombe. Avec des amis elle<br />

était montée à l’<strong>en</strong>droit où aurait lieu plus tard l’explosion, mais elle a voulu<br />

aller à l’autre extrémité du wagon pour mieux voir <strong>les</strong> panneaux indiquant<br />

<strong>les</strong> arrêts sur le quai. Après le choc de la déflagration, ils ont devant eux le<br />

spectacle des morts <strong>et</strong> des b<strong>les</strong>sés. Avant l’arrivée des secours, elle s’<strong>en</strong>fuit<br />

<strong>et</strong> pr<strong>en</strong>d un taxi. Arrivée chez elle, elle ne veut ri<strong>en</strong> dire à ses par<strong>en</strong>ts qui<br />

sav<strong>en</strong>t ce qu’il lui est arrivé : ils ont regardé la télévision <strong>et</strong> elle est noire<br />

de fumée. Elle s’<strong>en</strong>ferme dans sa chambre. Les jours suivants elle n’<strong>en</strong><br />

dira pas plus. Elle reste couchée sur son lit sauf aux heures des repas.<br />

L’atmosphère familiale devi<strong>en</strong>t int<strong>en</strong>able. Pour elle aussi sans doute, car<br />

elle se laisse convaincre de voir un psychiatre. Elle est suicidaire <strong>et</strong> passe<br />

une bonne partie de son temps à revivre l’événem<strong>en</strong>t, de jour comme de<br />

nuit.<br />

Les <strong>en</strong>tr<strong>et</strong>i<strong>en</strong>s sont <strong>en</strong>nuyeux <strong>et</strong> répétitifs. Julie répète inlassablem<strong>en</strong>t :<br />

« Ce que je ne supporte pas c’est qu’ils soi<strong>en</strong>t morts à ma place. » À<br />

part c<strong>et</strong>te exclamation, ri<strong>en</strong> dans son discours de type p<strong>en</strong>sée opératoire<br />

n’offre une accroche perm<strong>et</strong>tant d’amorcer un travail de réflexion. Mais elle<br />

est ponctuelle à ses r<strong>en</strong>dez-vous. Quatre mois pass<strong>en</strong>t ainsi. Un jour <strong>en</strong><br />

fin de séance elle s’exclame : « Ce que je ne supporte pas c’est d’<strong>en</strong> être<br />

sortie vivante. » Son visage s’anime pour la première fois, elle devi<strong>en</strong>t toute<br />

rouge <strong>et</strong> conclut <strong>en</strong> disant que ça fait du bi<strong>en</strong> de parler. Mais il lui faudra<br />

<strong>en</strong>core quatre mois pour se m<strong>et</strong>tre à l’ouvrage. Une autre exclamation lui<br />

échappe, construite comme <strong>les</strong> précéd<strong>en</strong>tes : « Ce que je ne supporte<br />

pas c’est à vingt-trois ans d’être aussi dép<strong>en</strong>dante de ma mère. » Elle est<br />

aussi sur<strong>prise</strong> que son thérapeute de c<strong>et</strong>te jaculation, qui est la preuve que<br />

derrière le parav<strong>en</strong>t d’un discours insipide, un travail se faisait à son insu.<br />

À partir de là, <strong>les</strong> choses vont aller très vite. Son discours se c<strong>en</strong>tre sur<br />

sa famille <strong>et</strong> la place qu’elle occupe comme cad<strong>et</strong>te de trois sœurs qui ont<br />

une différ<strong>en</strong>ce d’âge minime. Sa jalousie <strong>en</strong>fantine explose. Elle découvre<br />

alors ce qu’elle appelle « sa méchanc<strong>et</strong>é ». On aurait pu croire jusque-là<br />

qu’elle vivait dans une famille idyllique, quand elle parlait de ses sœurs,<br />

maint<strong>en</strong>ant ses yeux se rétréciss<strong>en</strong>t, sa bouche se pince, elle a le visage<br />

d’une tueuse. Ce thème ne va plus la lâcher, car il ne lui déplaît pas de<br />

se découvrir « méchante ». Il n’est plus question maint<strong>en</strong>ant du trauma ni<br />

de sa dépression. La p<strong>et</strong>ite fille modèle <strong>et</strong> soumise est dev<strong>en</strong>ue une jeune<br />

femme pas commode. Elle a maint<strong>en</strong>ant un p<strong>et</strong>it ami sur lequel elle reporte<br />

toute son agressivité, mais elle a affaire à un coriace qui ne se laisse pas<br />

castrer comme ça <strong>et</strong> impose au contraire sa virilité de sapeur-pompier. C’est<br />

là-dessus que se poursuit la psychothérapie p<strong>en</strong>dant dix-huit mois <strong>en</strong>core,<br />

avec moins de succès que pour le trauma.<br />

Notons simplem<strong>en</strong>t que c<strong>et</strong>te question de la « culpabilité du survivant » est<br />

moins simple qu’on ne le dit généralem<strong>en</strong>t.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!