Traiter les traumatismes psychiques : clinique et prise en charge
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204 THÉRAPEUTIQUE<br />
opinion qu’il a de lui-même, mais ce n’est pas ce qui est au premier plan<br />
de son discours. Il se prés<strong>en</strong>te <strong>en</strong> victime, il est le seul innoc<strong>en</strong>t dans un<br />
monde de crapu<strong>les</strong> <strong>et</strong> c’est pour cela qu’il souffre <strong>et</strong> ne parvi<strong>en</strong>t pas<br />
à y trouver sa place. En premier lieu, il accuse ses par<strong>en</strong>ts de l’avoir<br />
« fabriqué », d’être des irresponsab<strong>les</strong> dangereux :<br />
« Il y a bi<strong>en</strong> un permis de conduire : pourquoi n’y a-t-il pas un permis<br />
de faire des <strong>en</strong>fants ? »<br />
Puis à chaque étape de sa vie, il est victime de la bêtise, de l’incompét<strong>en</strong>ce,<br />
de la méchanc<strong>et</strong>é de l’un ou de l’autre : méchanc<strong>et</strong>é (réelle)<br />
de sa famille d’accueil, incompét<strong>en</strong>ce de la DASS (qu’on peut aussi<br />
qualifier de réelle dans ce cas-là) dont il a eu à souffrir mais qui ne<br />
font que refléter la nature profonde de l’<strong>en</strong>semble des humains. Chaque<br />
r<strong>en</strong>contre le conforte dans sa certitude.<br />
Pierre a eu très tôt c<strong>et</strong>te vision du monde <strong>et</strong> des hommes. Ce qui<br />
lui est arrivé dans sa famille d’accueil, dès l’âge de cinq ans, ne l’a<br />
pas étonné. D’autant que <strong>les</strong> ébats de ses par<strong>en</strong>ts dans l’unique pièce<br />
qu’ils partageai<strong>en</strong>t l’avai<strong>en</strong>t averti <strong>en</strong> matière de sexualité. Sa précocité<br />
dans <strong>les</strong> connaissances sexuel<strong>les</strong> s’accompagne d’une précocité intellectuelle.<br />
Celle-ci s’est développée aux dép<strong>en</strong>s du roman familial du<br />
névrosé. Il n’a pas connu c<strong>et</strong>te « naïv<strong>et</strong>é » de l’<strong>en</strong>fance qui perm<strong>et</strong> la<br />
maturation affective. Pour lui, l’initiation au sexe <strong>et</strong> à la mort (au néant)<br />
s’est faite dans le même temps. On ne s’étonnera pas alors que se soit<br />
produit chez lui un arrêt dans sa traversée œdipi<strong>en</strong>ne qui a influé sur sa<br />
pathologie <strong>et</strong> sur son destin. Le traumatisme n’<strong>en</strong> a pas moins gardé ses<br />
eff<strong>et</strong>s propres.<br />
L. Bailly (Bailly, 2001a) a finem<strong>en</strong>t décrit <strong>les</strong> conséqu<strong>en</strong>ces de ce<br />
type d’expéri<strong>en</strong>ce précoce, quand ri<strong>en</strong> par la suite ne vi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> perm<strong>et</strong>tre<br />
l’élaboration. Il signale <strong>en</strong> particulier :<br />
« l[...] ’attaque des croyances fondam<strong>en</strong>ta<strong>les</strong> du suj<strong>et</strong> [réalisée par le<br />
traumatisme, qui touche] le domaine de la morale <strong>et</strong> de la socialisation<br />
de l’<strong>en</strong>fant [...] L’<strong>en</strong>fant se replie sur lui-même, s’isole socialem<strong>en</strong>t <strong>et</strong><br />
n’exprime pas la gamme habituelle de ses émotions. »<br />
Il est le siège d’une agressivité qui se manifeste par des « <strong>en</strong>vies<br />
de destruction », ce qui ne l’empêche pas d’être passif <strong>et</strong> dépourvu<br />
de confiance <strong>en</strong> lui. Enfin, il n’accorde plus aucun crédit aux règ<strong>les</strong><br />
socia<strong>les</strong>. L. Bailly cite l’<strong>en</strong>quête de S. Marcus-Jeisler sur des <strong>en</strong>fants<br />
ayant vécu la guerre, qui signale leur maturité précoce <strong>et</strong> leur habitude<br />
à dissimuler (Marcus-Jeisler, 1947).