Traiter les traumatismes psychiques : clinique et prise en charge
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216 THÉRAPEUTIQUE<br />
agu<strong>et</strong>s. Il dort peu, ne pr<strong>en</strong>d pas <strong>les</strong> transports <strong>en</strong> commun <strong>et</strong> fuit la<br />
foule. Dans le service, il vit isolé dans sa chambre, évite autant que<br />
possible le personnel <strong>et</strong> surtout <strong>les</strong> autres malades.<br />
Peu à peu, une évolution se dessine. Un traitem<strong>en</strong>t psychotrope<br />
améliore le sommeil <strong>et</strong> réduit le nombre des cauchemars. Il parvi<strong>en</strong>t<br />
à nouer une relation avec <strong>les</strong> infirmiers puis à s’intégrer à la vie du<br />
service. Il réussit même à pr<strong>en</strong>dre l’autobus qui passe devant l’hôpital,<br />
<strong>et</strong> le monde extérieur devi<strong>en</strong>t moins m<strong>en</strong>açant. Son activité onirique se<br />
modifie : apparaiss<strong>en</strong>t des cauchemars ou des rêves qui métaphoris<strong>en</strong>t<br />
l’événem<strong>en</strong>t, y mêl<strong>en</strong>t des scènes de son histoire. Après une période<br />
d’<strong>en</strong>viron six mois, le syndrome de répétition a beaucoup diminué, <strong>les</strong><br />
manifestations anxieuses ne survi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que dans des situations liées<br />
pour lui à l’att<strong>en</strong>tat (images télévisuel<strong>les</strong>, b<strong>les</strong>sé croisé dans <strong>les</strong> couloirs<br />
de l’hôpital, <strong>et</strong>c.). En revanche, un état dépressif franc occupe le devant<br />
de la scène.<br />
Le syndrome dépressif <strong>et</strong> la culpabilité<br />
Au mom<strong>en</strong>t de notre première r<strong>en</strong>contre, Félix se montre triste,<br />
ses plaintes somatiques sont typiques de la dépression chez l’Africain<br />
(Djassao, 1994, <strong>et</strong> Murphy, 1980) : crampes, fourmillem<strong>en</strong>ts, piqûres<br />
dans tout le corps. Des « ch<strong>en</strong>il<strong>les</strong> » circul<strong>en</strong>t dans ses veines ou<br />
march<strong>en</strong>t le long de ses nerfs, jusque dans la tête où el<strong>les</strong> décl<strong>en</strong>ch<strong>en</strong>t<br />
des céphalées int<strong>en</strong>ses. Il se s<strong>en</strong>t très coupable :<br />
« Au mom<strong>en</strong>t de l’att<strong>en</strong>tat je n’ai p<strong>en</strong>sé qu’à moi, je n’<strong>en</strong> suis pas<br />
sûr mais je crois que j’ai vu sur le côté une main qui se t<strong>en</strong>dait puis qui<br />
disparaissait <strong>et</strong> je n’ai ri<strong>en</strong> fait. »<br />
Des s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts de culpabilité sont régulièrem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>ts, diversem<strong>en</strong>t<br />
rationalisés. La logique voudrait qu’une victime se s<strong>en</strong>te innoc<strong>en</strong>te.<br />
Or le trauma, <strong>en</strong> cela il se différ<strong>en</strong>cie du stress, réalise une<br />
transgression. En un éclair, le suj<strong>et</strong> s’est vu mort, c’est-à-dire qu’il est<br />
allé au-delà de ce qu’il est permis à l’homme de voir.<br />
D’autre part, du fait de son rapport intime avec le réel de la mort,<br />
le pati<strong>en</strong>t s’exclut de la communauté des hommes. Ses semblab<strong>les</strong><br />
sav<strong>en</strong>t qu’ils vont mourir, mais ils n’y croi<strong>en</strong>t pas vraim<strong>en</strong>t. C’est ce<br />
qui leur perm<strong>et</strong> de vivre, justem<strong>en</strong>t. Lui, maint<strong>en</strong>ant, il y croit <strong>et</strong> il<br />
n’est préoccupé que de cela. Dans la psychothérapie, à partir de la<br />
transgression qui le ramène toujours dans <strong>les</strong> parages de la pulsion de<br />
mort, devra s’élaborer un discours qui le situe à nouveau dans l’orbe de<br />
la faute originelle, de la faute œdipi<strong>en</strong>ne. Aussi injuste que cela soit, il<br />
y a un mom<strong>en</strong>t où le suj<strong>et</strong> doit pouvoir se p<strong>en</strong>ser coupable de ce qui lui<br />
est arrivé, <strong>et</strong> l’événem<strong>en</strong>t pr<strong>en</strong>dre l’allure d’un châtim<strong>en</strong>t.