luimême, que tout soit lui, que chacun soit son alter ego, « un autre moimême ». Il veutque tout soit à son image et qu’idéalement le mon<strong>de</strong> répon<strong>de</strong> à son attente, c’estàdireque tous les autres fassent ce qu’il souhaite qu’ils fassent, lui donnent ce qu’il veutrecevoir, le délivrent <strong>de</strong> ce dont il désire être débarrassé. Cet alter ego, miroir docile <strong>de</strong>ses rêves, il veut le trouver partout: le mari dans sa femme, <strong>la</strong> femme dans son époux, lepère dans son fils, l’employé dans son patron. Chacun veut que l’autre soit et agisse d’unecertaine façon qui correspon<strong>de</strong> à ses désirs, chacun veut que tout arrive en conformitéabsolue avec son ego : être le centre du mon<strong>de</strong> et ne rencontrer en face <strong>de</strong> soi que le oui,le oui, toujours le oui. Alors que nous avons tout le temps à faire face au non. Et ce<strong>la</strong>, lepetit enfant l’apprend un jour, très vite, après le oui permanent <strong>de</strong> <strong>la</strong> mère au nourrisson.Nous voulons qu’un collègue nous sourie, il ne nous sourit pas. Nous voulons qu’unefemme nous aime, elle ne nous aime pas. Nous voulons qu’un employeur nous donne uneaugmentation, il ne nous <strong>la</strong> donne pas. Et ce<strong>la</strong>, profondément, nous ne l’acceptons pas.Nous ne donnons pas à l'autre <strong>la</strong> permission d’être luimême, d’être différent, d’être<strong>com</strong>me nous un ego avec ses propres désirs et ses propres peurs.Cette attitu<strong>de</strong> est caractéristique du petit enfant qui ne conçoit que ses besoins et leursatisfaction : moi seulement. La croissance normale <strong>de</strong> l’homme <strong>de</strong>vrait être: moiseulement, puis : moi et les autres, puis : les autres et moi, et enfin : les autres seulement.L’enfant est fait pour recevoir, l’adulte pour donner. Mais, aujourd’hui, dans notre sociétécontemporaine, <strong>com</strong>bien d’enfants ontils <strong>la</strong> possibilité <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir véritablement adultes ?De moins en moins. Et <strong>de</strong> plus en plus le mon<strong>de</strong> est peuplé d’enfants à <strong>la</strong> fois gâtés,frustrés, révoltés et effrayés, qui refusent <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir adultes, qui ne peuvent même pasimaginer ce que signifie être adulte et qui font n’importe quoi pour tenter d’échapper àleur peur et à leur sentiment d’abandon. Mais tout être humain aspire à <strong>la</strong> stabilité et àl’unité. Or l’unique énergie infinie qui anime tout l’univers sous toutes ses formes(grossières, matérielles, psychiques, subtiles, etc.) se manifeste <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> pluscontraire à l’Unique : dans une variété indéfinie <strong>de</strong> différences, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> pluscontraire à <strong>la</strong> permanence: par le changement incessant et <strong>la</strong> transformation. Si cetteénergie unique se manifeste en formes et si elle est infinie, elle ne peut que se manifesteren une quantité <strong>de</strong> formes infinies.Le nombre d’espèces animales ou végétales qui existent a <strong>de</strong> quoi donner le vertige :vingt mille espèces d’oiseaux, huit cent mille espèces d’insectes. Il n’y a pas <strong>de</strong>ux feuillesd’un arbre qui soient pareilles. Il n’y a pas, sur les six milliards d’habitants <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète,<strong>de</strong>ux visages qui soient i<strong>de</strong>ntiques, sans parler <strong>de</strong>s empreintes digitales. Toutes lesreligions renseignent cette Unité : « Il n’y a qu’un sans un second », « Qu’ils soient un<strong>com</strong>me le Père et moi nous sommes un. » Et les spiritualités sont aussi le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong>multiplicité : hindouisme, bouddhisme, judaïsme, christianisme, is<strong>la</strong>m, taoïsme,shintoïsmes, etc. À l’intérieur <strong>de</strong>s religions : shaïvisme, vaishnavisme, hinayana,mahayana, catholicisme, protestantisme, sunisme, chiisme, tous les ordres, toutes lessectes, toutes les lignées. Peuton imaginer <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s apparemment plus différentsque celui <strong>de</strong>s maîtres et soufis musulmans, dans <strong>la</strong> simplicité et le dépouillement, et celui<strong>de</strong>s maîtres et disciples du bouddhisme tantrique tibétain avec ses temples regorgeantd’images <strong>de</strong> divinités en accouplement et ses offices somptueux ? Parce que je suis
hindou, je suis coupé du musulman, parce que je suis chrétien je suis séparé dubouddhiste. Parce que je suis chrétien ? Ou parce que j’ai un ego <strong>de</strong> chrétien? Regar<strong>de</strong>zautour <strong>de</strong> vous dans l’espace : multiplicité, multiplicité, multiplicité. Chaque élément <strong>de</strong><strong>la</strong> création est différent, unique en luimême, in<strong>com</strong>parable. Mais chaque hommevoudrait toujours que l’autre ne soit pas différent <strong>de</strong> lui. Et regar<strong>de</strong>z dans le tempschangement, changement, changement. Tout change tout le temps, jamais <strong>de</strong>ux instantsne sont i<strong>de</strong>ntiques. A chaque secon<strong>de</strong>, à chaque millième <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, chaque chosemeurt, remp<strong>la</strong>cé par quelque chose d’autre. <strong>Les</strong> fleurs meurent pour que naissent les fruitset <strong>la</strong> vieille femme est déjà dans <strong>la</strong> jeune fille. Et si nous observons <strong>la</strong> vie intérieure <strong>de</strong>shommes, <strong>la</strong> nôtre, il n’y a pas <strong>de</strong>ux psychismes d’êtres humains qui soient pareils. Pourles six milliards d’êtres humains aujourd’hui et tous ceux qui les ont précédés, legaspil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong>s pensées est fabuleux. A raison du nombre d’associations d’idées qui ontdéfilé toute <strong>la</strong> journée dans <strong>de</strong>s millions puis <strong>de</strong>s milliards <strong>de</strong> cerveaux, voyez les chiffresastronomiques <strong>de</strong> formes qu’a pu prendre une unique énergie qui se ramifie et setransforme indéfiniment, une vie unique malgré ses apparences si nombreuses et sichangeantes.Car <strong>de</strong>rrière, ou plutôt à <strong>la</strong> source, <strong>de</strong> toutes ces formes ou expressions innombrables etchangeantes qui ont toutes une naissance, un épanouissement et une mort, il y a uneunique énergie à l’intérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle a lieu le changement mais qui, elle, est toujours <strong>la</strong>même, le tout, <strong>la</strong> totalité. Rien ne se perd, rien ne se crée dans <strong>la</strong> nature. Et chaque êtrehumain à travers les temps, chacun <strong>de</strong> nous représente le même phénomène l’uniqueénergie qui est partout, en tout et en quoi tout est, se limite, s’individualise. Il n’y a plus<strong>la</strong> totalité, il y a un minuscule élément dans le temps et dans l’espace, un embryon, unfœtus, un bébé. Chacun <strong>de</strong> nous est une forme particulière prise par cette énergie. L’infinis’est contracté, <strong>com</strong>primé, limité en un point précis. L’eau, libre <strong>de</strong> prendre toutes lesformes, est <strong>de</strong>venue g<strong>la</strong>ce, figée en une seule forme.Mais l’unique énergie, en chacune <strong>de</strong> ses manifestafions qu’est un être humain, tend àse retrouver telle qu’elle est en essence unique, infinie et intemporelle. Si tout hommeaspire à <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> absolue que plus rien n’a pouvoir sur lui, que rien ne peut lui êtreenlevé donc que rien ne peut lui être ajouté, qu’il ne risque rien, d’aucune façon, qu’il nepeut pas y avoir plus ou mieux que ce qui est, cet appel est le témoignage d’uneperfection qui, d’une certaine façon, est déjà là.Pour reprendre <strong>la</strong> <strong>com</strong>paraison avec l’océan, disons qu’il y a, dans une bouteillefermée, une petite quantité d’eau. La bouteille, c’est l’ego, ce jeu <strong>de</strong> peurs et <strong>de</strong> désirs.Mais <strong>la</strong> bouteille est ellemême plongée dans <strong>la</strong> mer. C’est notre situation à tous noussommes <strong>de</strong> l’eau qui est bien dans <strong>la</strong> mer mais isolée, limitée par une bouteille. Il s’agit<strong>de</strong> briser <strong>la</strong> bouteille. La petite quantité d’eau ne disparaît pas, n’est pas séchée, évaporée,que saisje ? La petite quantité d’eau ne meurt pas quand meurt le sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation.Elle ne meurt qu’en tant qu'individualité. La bouteille, une fois ouverte, ne peut pluslimiter l’eau. Le petit litre fait maintenant <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> milliards <strong>de</strong> litres et, plusmême, il éprouve je suis infini, illimité, libéré du temps, <strong>de</strong> l’espace et <strong>de</strong> <strong>la</strong> causalité. LaLibération, moksha, mukti, nirvana, c’est cette illumination. Que n’aton pas écrit sur «les bouddhistes aspirent à un anéantissement <strong>com</strong>plet d’euxmêmes en se fondant dans le
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’