suis » dans toutes les p<strong>la</strong>ntes, toutes les bêtes, tous les hommes et en moi. Ce qui dit « Jesuis » dans chaque homme, dans tous les hommes — ceux qui me haïssent <strong>com</strong>me ceuxqui m’aiment — dans tous les animaux, tous les végétaux, c’est moi. Mon prochain c’estmoimême. Tu aimeras ton prochain <strong>com</strong>me toimême, <strong>com</strong>me étant toimême.Mais aujourd’hui quand mon prochain dit : « Je suis » et que ce je suis ne prend pas <strong>la</strong>forme qu’attend mon ego particulier, me voilà déçu, choqué ou indigné. Je réagis. Monego dit non à ce « je suis » qui se dresse en face <strong>de</strong> lui. Au même instant je reconnais quec’est et je dis que ça ne <strong>de</strong>vrait pas être. Je refuse, je dénie le droit à être. Je dis en mêmetemps oui et non. Oui, c’est. Non, ça ne <strong>de</strong>vrait pas être. Et ainsi naît l’émotion négative,pénible, douloureuse. Ou bien je dis à <strong>la</strong> fois : « c’est » et « ça pourrait ne pas être », cequi détermine l’émotion positive, agréable. Mais, pénible ou agréable, l’émotion esttoujours l’émotion. L’émotion, c’est toujours <strong>la</strong> <strong>com</strong>paraison <strong>de</strong> ce qui est avec ce qui<strong>de</strong>vrait être ou avec ce qui aurait pu ne pas être, <strong>la</strong> référence aux expériences passées.C’est toujours <strong>la</strong> dualité. Cette <strong>com</strong>paraison, nous nous apercevons vite, en cherchant ànous connaître, que nous ne pouvons pas ne pas <strong>la</strong> faire. Elle s’impose à nous. Toutes lesréactions sont toujours <strong>la</strong> preuve qu’il y a <strong>de</strong>ux : l’autre et moi, l’événement et moi,événement qui peut d’ailleurs être intérieur, prendre p<strong>la</strong>ce dans mon organisme, lorsqu’ils’agit d’une douleur physique ou d’une ma<strong>la</strong>die. Même les émotions esthétiques, c’estàdirel’appréciation du beau et du <strong>la</strong>id, relèvent <strong>de</strong> <strong>la</strong> dualité. Une chose n’est jamais belleou <strong>la</strong>i<strong>de</strong> en ellemême, elle ne l’est que par <strong>com</strong>paraison. Or, si <strong>la</strong> perception <strong>de</strong>sdifférences est toujours nécessaire, <strong>la</strong> <strong>com</strong>paraison n’est jamais justifiée. Chaque élément<strong>de</strong> <strong>la</strong> manifestation est ce qu’il ne peut pas ne pas être dans l’ensemble <strong>de</strong>s causes et <strong>de</strong>seffets et il est toujours unique, singulier. Aucune tendance à l’uniformité, c’estàdire àdonner <strong>la</strong> même forme à tout, qu’elle s’exerce en politique, sociologie, éducation,architecture, jardinage, que saisj e, n’empêchera qu’il n’y a jamais nulle part — ni dansle temps, ni dans l’espace — <strong>de</strong>ux qui soient i<strong>de</strong>ntiques. Une chose n’est ni belle ni <strong>la</strong>i<strong>de</strong>.Elle est seulement à sa p<strong>la</strong>ce ou non. Un excrément est à sa p<strong>la</strong>ce dans le fumier qui vaengraisser les champs, il ne l’est pas sur une table <strong>de</strong> salle à manger.Qu’estce qui définit l’ego et constitue l’esc<strong>la</strong>vage? <strong>Les</strong> émotions, <strong>la</strong> distinction entrece qu’on veut et ce qu’on ne veut pas, ce qui est agréable et ce qui est désagréable, lesjoies et les souffrances. La Libération consiste a s en affranchir, à s’affranchir <strong>de</strong>sréactions.« Comment? direzvous. Mais c’est l’essence même <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie, ce qui fait qu’elle vaut<strong>la</strong> peine d’être vécue, c’est le moteur <strong>de</strong> toutes les actions. Sans émotions, sans joies, sanstristesses, sans enthousiasmes, sans indignations, je n’existe plus, je ne participe plus, jem’enferme en moimême, ma vie n’a plus <strong>de</strong> sens, c’est <strong>la</strong> mort! »Oui, c’est <strong>la</strong> mort. La mort <strong>de</strong> quoi ? De l’ego, du mensonge, <strong>de</strong>s apparences, dusuperficiel.Non, c’est le contraire. C’est <strong>la</strong> véritable naissance, <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong> ce qui est au fond<strong>de</strong> nous, <strong>la</strong> Réalité, l’atman qui embrasse tout, qui contient tout. C’est l’éc<strong>la</strong>tement <strong>de</strong> <strong>la</strong>prison étroite du « je », libérant une perception plus juste, plus vraie, plus vaste dumon<strong>de</strong>. <strong>Les</strong> barrières entre moi et les autres, entre moi et l’univers, tombent, le carcan qui
nous maintenait étranglé, contraint, impuissant, insignifiant, explose et <strong>la</strong> joie véritabledéferle dans notre union à chaque arbre, chaque pierre, chaque être, fûtil « <strong>la</strong>id » ou «méchant », fûtil notre ennemi.Tant que nous restons soumis aux émotions, nous <strong>de</strong>meurons prisonniers, noustournons le dos à <strong>la</strong> Libération, même si nous ne parlons que <strong>de</strong> ça, si nous ne lisons que<strong>de</strong>s livres consacrés à ce sujet, même si nous méditons, même si nous pratiquons le yogatrois heures par jour. Tant que les êtres humains continueront à marcher dans le chemin<strong>de</strong> l’individualité, il y aura partout in<strong>com</strong>préhension et souffrance.Il faut y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> très près. La cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong> chacun et, par réactioncontre sa propre souffrance, <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance involontairement ou volontairement imposéeaux autres, c’est, selon <strong>la</strong> célèbre analyse du Bouddha dans le premier sermon à Sarnath,le fait <strong>de</strong> se prendre pour une individualité c’estàdire pour <strong>la</strong> forme qui est venue aumon<strong>de</strong> à l’heure et au lieu <strong>de</strong> sa naissance.Cette individualité se ressent <strong>com</strong>me distincte, isolée et soumise aux changementsincessants <strong>de</strong> <strong>la</strong> manifestation qui ne <strong>de</strong>meure jamais <strong>la</strong> même, jamais en repos un instant.Cet ego éprouve l’action du mon<strong>de</strong> extérieur à lui soit <strong>com</strong>me positive, favorable et c’estle bien, soit <strong>com</strong>me négative, défavorable et c’est le mal. Par extension <strong>de</strong> ses propresexpériences, par projection autour <strong>de</strong> lui <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong> intérieur, il étend aux autres sapropre distinction du bien et du mal, considérant que <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, le <strong>de</strong>uil, <strong>la</strong> souffrancephysique, le manque d’argent, l’abandon, <strong>la</strong> trahison, étant le mal pour lui, et <strong>la</strong> richesse,l’amour, le succès, <strong>la</strong> santé, le confort étant le bien pour lui, il en est <strong>de</strong> même pour lesautres.Nous ne sommes jamais neutres ou bien un objet, une parole ou une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> monprochain, un événement me p<strong>la</strong>ît ou bien il me dép<strong>la</strong>ît. Entre les extrêmes du « c’estinadmissible » et du « c’est merveilleux », <strong>la</strong> qualification est toujours là, plus ou moinsprononcée. Nous voyons tout, toujours, par rapport à nous, c’estàdire que nous nevoyons jamais rien. Et nous ne voyons ni que nous ne voyons rien, ni pourquoi nous nevoyons rien. Nous ne voyons pas l’autre parce que nous projetons notre ego sur lui. <strong>Les</strong>Écritures védantiques répètent à satiété que le mon<strong>de</strong> est irréel ou illusoire. Vous pouvez<strong>com</strong>mencer à <strong>com</strong>prendre ce<strong>la</strong> en réalisant que vous ne voyez jamais les autres et lemon<strong>de</strong>, mais seulement ce que vous pensez d’eux. Vous projetez vos goûts, vos idées,vos concepts sur eux. Où est donc l’autre, où est alors le mon<strong>de</strong> ? Vous n’avez jamaisconnu que vousmême, vos fantasmes, vos imaginations, vos désirs et vos peurs: où est <strong>la</strong>réalité?Le sage, le « libéré vivant » (jivanmukta) n’éprouve plus aucune émotion d’aucunesorte, mais seulement un sentiment permanent, immuable, inaltérable, sans contraire,d’acceptation, mieux même : d’unité ou d’unisson avec tout à tout instant. Le jeuperpétuel <strong>de</strong>s émotions, ou <strong>de</strong> l’attraction et <strong>de</strong> <strong>la</strong> répulsion, maintient l’hommeprisonnier <strong>de</strong> son ego. <strong>Les</strong> émotions déterminent et organisent toutes les pensées, tous lesraisonnements et toutes les rêveries. Nous refoulons les émotions trop pénibles ou tropcontraires aux idées reçues et nous les emmagasinons dans notre inconscient (storeconsciousness). <strong>Les</strong> émotions, parce qu’elles s’imposent à l'homme, font <strong>de</strong> son
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’