toutes choses concourent au bien <strong>de</strong> ceux qui aiment Dieu? Qui n’a pas envie <strong>de</strong> tuer cequi le tue?La nonviolence, ahi msa, le « Tu ne tueras point » <strong>de</strong> <strong>la</strong> Bible ne concerne passeulement <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s autres hommes et <strong>de</strong>s animaux. Le disciple sait que cette vérités’applique à tout et que rien <strong>de</strong> ce qui se manifeste ne doit jamais être détruit. Tout est<strong>de</strong>stiné à mourir <strong>de</strong> soimême, toute chose dans l’univers a une naissance et une mort. S’ily a naissance, il y aura mort. Ce qui vient s’en va. C’est <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> manifestationet <strong>la</strong> science contemporaine est d’accord sur ce point avec <strong>la</strong> tradition. Tout, à tous leséchelons, sur <strong>de</strong>s millions d’années ou au millionième <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>, tout ce qui vient à<strong>com</strong>mencer finira. Nous pouvons, par <strong>la</strong> pratique <strong>de</strong> <strong>la</strong> voie, expérimenter que toute <strong>la</strong>nature est en perpétuelle transformation, d’instant en instant, que tout est impermanent,que <strong>la</strong> page est tout le temps tournée, sans un moment <strong>de</strong> répit. J e parle là encore d’uneexpérience bien précise.Il nous est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> donner <strong>com</strong>plètement et sans aucune arrièrepensée le droitd’être à tout ce qui se manifeste, tout ce qui apparaît en nous, même le pire, le plusinacceptable, le plus déchirant. Ne pas avoir cette attitu<strong>de</strong>, c’est manifester subtilement <strong>la</strong>volonté <strong>de</strong> tuer. Cette souffrance, qu’elle soit « morale » ou « physique », est là. J e nepeux pas <strong>la</strong> déposer à volonté, m’en décharger, <strong>com</strong>me <strong>de</strong> ma montre, <strong>de</strong> ma veste ou <strong>de</strong>mes chaussures. Par conséquent je n’ai pas le droit <strong>de</strong> dire que je ne suis pas cettesouffrance. Si j’ai une souffrance, je suis libre <strong>de</strong> m’en séparer. Or je ne peux pas. Doncje n’ai pas mal, je suis <strong>la</strong> douleur en question, maintenant. Si au moment même où jeconstate <strong>la</strong> souffrance, je <strong>la</strong> refuse, je dis en même temps oui et non. Oui, il y a douleur.Non, il ne <strong>de</strong>vrait pas y avoir douleur. Je ne suis pas ce que je suis. Et c’est ce<strong>la</strong> qui estdramatique. Ce oui et ce non simultanés créent une dualité qui s’exprime aussi par: moi etma souffrance. Or <strong>la</strong> vérité est toujours, en toutes circonstances, non duelle. Tout l’effortdu sadhaka doit consister à ne faire qu’un avec cette souffrance, jusqu’à ce qu’il n’y aitplus que <strong>la</strong> souffrance : « <strong>la</strong> souffrance est perçue » mais non « je perçois <strong>la</strong> souffrance ».Je à disparu.J’éprouve une souffrance physique. Je n’en veux pas. J e veux <strong>la</strong> « tuer ». Et je souffre<strong>de</strong> plus en plus car le conflit du oui et du non <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus fort. Mais il m’estpermis <strong>de</strong> ne faire qu’un avec cette souffrance. Je <strong>la</strong> <strong>la</strong>isse, <strong>com</strong>me toute chose dansl’univers, avoir une naissance et une mort. Et Si je réussis à ne faire plus qu’un avec masouffrance, au moment même où <strong>la</strong> nondualité est assurée, <strong>la</strong> souffrance cesse d’êtreperçue <strong>com</strong>me douloureuse. Ceci dit, accepter <strong>com</strong>plètement cette souffrance nem’empêche pas <strong>de</strong> prendre certaines mesures. J’ai <strong>de</strong>s nausées et envie <strong>de</strong> vomir. Aussipénibles soientelles, j’accepte ces nausées totalement et sans <strong>la</strong> moindre arrièrepenséequ’elles ne <strong>de</strong>vraient pas être. Mais je peux constater que mon estomac manque <strong>de</strong> tellessubstances qui lui sont nécessaires et prendre un médicament <strong>de</strong>stiné à rétablir lefonctionnement <strong>de</strong> cet organe. Je respecte autant les vomissements que je respectel’estomac. Je ne peux pas prendre parti d’un point <strong>de</strong> vue « moral » contre lesvomissements considérés <strong>com</strong>me le mal.Ce qui est vrai pour un ma<strong>la</strong>ise ou une douleur physique s’applique aussi à <strong>la</strong>
souffrance morale, au désespoir à l’angoisse et à <strong>la</strong> peur. La voie qui mène à <strong>la</strong> libération<strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance passe par l’acceptation <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance. A <strong>la</strong> plus horrible angoisse ledisciple dit oui et l’accueille avec autant <strong>de</strong> bienvenue que <strong>la</strong> plus gran<strong>de</strong> joie. Je ne parlepas <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause <strong>de</strong> cette souffrance mais <strong>de</strong> l’état émotionnel luimême. Des événementssemb<strong>la</strong>bles ne déclenchent pas <strong>la</strong> même intensité d’émotion chez tout le mon<strong>de</strong>. Ce quiest très supportable à l’un est intolérable à l’autre et vice versa selon les prédispositions<strong>la</strong>tentes.Si je suis licencié <strong>de</strong> l’entreprise où je travaille, si mon associé m’a trahi, si mon mariest parti en voyage avec sa maîtresse, il y a là <strong>de</strong>s faits qui me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt d’intervenir et<strong>de</strong> répondre selon ce qu’exige <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation. Je répète qu’il ne s’agit pas <strong>de</strong>résignation passive. Il s’agit <strong>de</strong> nondualisme.Le reproche <strong>de</strong> résignation qui est si souvent mis en avant pour attaquer les doctrinesorientales n’a pas plus <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment que l’accusation <strong>de</strong> panthéisme. La résignationsupposerait que <strong>la</strong> manifestation est figée et que les choses ne changent pas. Accepter cequi est, c’est accepter le changement, <strong>la</strong> transformation, l’évolution. Résignation nepourrait signifier que vouloir faire durer ce qui ne dure pas. L’acceptation est le contraire<strong>de</strong> <strong>la</strong> résignation, car ce qui est pleinement accepté perd son pouvoir et disparaît. Ce quiest dénié est refoulé et subsiste à l'état potentiel. Plus on refuse, plus ce qui est refusé ourepoussé prend <strong>de</strong> force. Il n’est donc pas question <strong>de</strong> se <strong>com</strong>p<strong>la</strong>ire dans quoi que ce soit,morbi<strong>de</strong> ou pas, puisqu’il n’y a, en vérité, rien <strong>de</strong> stable ou permanent en quoi on puissese <strong>com</strong>p<strong>la</strong>ire. <strong>Les</strong> accusations <strong>de</strong> résignation et <strong>de</strong> <strong>com</strong>p<strong>la</strong>isance sont fondées sur <strong>la</strong>fausse vision <strong>de</strong>s choses dans <strong>la</strong>quelle on ne réalise pas que <strong>la</strong> page est tout le tempstournée, à chaque cent milliardième <strong>de</strong> secon<strong>de</strong>.Oui j’ai reçu cette lettre <strong>de</strong> licenciement, non je n’aurais pas dû <strong>la</strong> recevoir. Oui je suisaffreusement malheureux, non je ne <strong>de</strong>vrais pas être malheureux. Seul le oui est vrai. Oui,j’ai reçu cette lettre, oui j’ai reçu cette lettre, oui,j’ai reçu cette lettre. Oui, je souffre, ouije souffre, oui je souffre, sans aucun non. Oui à l’émotion, aussi intolérable soitelle. J’aireçu au courrier une nouvelle terrible, effroyable et, à cause <strong>de</strong> ce fait extérieur à moi, mevoici soumis — au sens le plus rigoureux <strong>de</strong> ce mot — à une émotion suffocante que jen’avais pas une minute auparavant et que je n’aurais pas eue si <strong>la</strong> lettre avait été un avisd’augmentation <strong>de</strong> sa<strong>la</strong>ire. Pour le moment ce n’est pas l’événement qui importe, c’estmon état intérieur, l’émotion en tant qu’émotion.Parce que je ne peux pas accepter l’événement, <strong>la</strong> mauvaise nouvelle et être un avecelle, l’émotion naît. L’émotion n’est pas produite par le fait luimême, aussi « dramatique» soitil, mais par le refus du fait, <strong>la</strong> coexistence du oui et du non. Si un fait pouvait êtrepar luimême seulement <strong>la</strong> cause d’une émotion, il n’aurait jamais existé aucun sage «libéré », aucun jivanmukta, et nous n’aurions aucun espoir <strong>de</strong> libération et <strong>de</strong> sérénitédurable. Puisque je ne peux accepter le fait,j’accepte l’émotion. Toute émotion, parcequ’elle n’existait pas huit jours avant ni quelques minutes avant <strong>de</strong> naître, est <strong>de</strong>stinée àmourir. Puisqu’elle a un <strong>com</strong>mencement elle aura une fin. Aucune joie et aucunesouffrance n’est éternelle. L’émotion naît, se développe et meurt — c’est fini,<strong>com</strong>plètement fini — sauf si nous empêchons son jeu naturel. Mais nous nous
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