est en lui et qu’il ne veut pas le voir, c’est qu’il y a là quelque chose qu’il reconnaît etqui, <strong>com</strong>me on dit, lui rappelle <strong>de</strong> bons ou <strong>de</strong> mauvais souvenirs inconscients. Pour êtreinconscient, ce rappel n’est pas moins efficient. A ce rappel, l’homme réagit. <strong>Les</strong> gensn’ont généralement que <strong>de</strong>s réactions mais ils prennent leurs réactions pour <strong>de</strong>s actions.Accepter <strong>la</strong> réaction <strong>com</strong>me réaction est déjà un ac<strong>com</strong>plissement. Prendre une réactionpour une action, c’est <strong>de</strong>meurer à <strong>la</strong> surface. Un homme vous parle d’une nouvelledramatique qu’il a lue dans le journal du matin. Son expression, <strong>la</strong> vibration <strong>de</strong> sa voix, lechoix <strong>de</strong> ses termes montrent s’il rapporte un fait <strong>de</strong> façon neutre ou s’il est touché, émupersonnellement. Étymologiquement que signifie « é-mu » ? Mû hors <strong>de</strong>. Un homme émuest un homme arraché à lui-même, arraché au « je » re<strong>la</strong>tif qui aurait pu se manifester enlui. Un homme ému est un homme aliéné, décentré. Parce qu’il n’est plus au centre <strong>de</strong>lui-même, il n’est plus au centre <strong>de</strong> rien.L’apparence prétend que l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cet homme s’explique par <strong>la</strong> cruauté <strong>de</strong>l’événement re<strong>la</strong>té dans son quotidien. Mais l’essence re<strong>la</strong>tive <strong>de</strong> cet homme est sa natureparticulière, à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il a été particulièrement touché. Effectivement, en lisantle même jour le même journal, l’un sera atteint par un récit d’enfant martyrisé etindifférent à un tremblement <strong>de</strong> terre qui a ruiné <strong>de</strong>ux ou trois mille familles en quelquesminutes, tandis qu’un autre sera surtout obsédé par <strong>de</strong> mauvaises nouvelles économiquesou une menace <strong>de</strong> conflit entre l’In<strong>de</strong> et le Pakistan. Un test fort instructif consiste à<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à plusieurs personnes quelle information elles auraient mise en première pagesi elles avaient été le rédacteur en chef tout-puissant du journal en question.Le critère <strong>de</strong> <strong>la</strong> pureté <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision est toujours l’absence <strong>de</strong> réaction émotionnelle :moins j’ai d’émotion, plus je pénètre vers l’essence. Mais il faut bien se rendre <strong>com</strong>ptequ’en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s émotions évi<strong>de</strong>ntes, patentes, une absence totale d’émotion se traduiraitpar une re<strong>la</strong>xation parfaite aussi bien mentale que physique : plénitu<strong>de</strong>, calme,tranquillité. Seul celui qui est <strong>com</strong>plètement à l’aise, satisfait, assouvi, contenté, à quirien ne manque, peut être dit sans émotion. Sinon, ce<strong>la</strong> manifeste qu’il y a un « nœud »(granthi) quelque part en nous. Si un homme n’éprouve pas cette satisfaction paisible, cecontentement, cette «plénitu<strong>de</strong> », il y a « souffrance », légère soit, mais souffrance, mêmesi le motif n’en est pas du tout apparent. Pour échapper à cette souffrance, à ce manque,l’homme va agir. Dans son ignorance, il ne sait pas <strong>com</strong>ment agir pour être un jourdéfinitivement dans <strong>la</strong> paix et il va continuer à <strong>de</strong>meurer enchaîné par son ego, par le jeu<strong>de</strong>s dualités, par l’action et <strong>la</strong> réaction.En vérité, sauf à certains moments exceptionnels, tout homme autre que le sage esttoujours soumis à l’émotion, car il se sent toujours in<strong>com</strong>plet. Ces momentsexceptionnels sont ceux où l’on ne « <strong>de</strong>man<strong>de</strong> plus rien » et dont on dit que « le tempss’est arrêté ». Rien ne manque. Aucune pensée, aucun désir, aucune crainte ne s’élève dusubconscient, tout est parfait. Tant que dure cet état, on n’éprouve le besoin d’aucungeste, aucune action, aucune initiative. Moins un homme a <strong>de</strong> conflits intérieurs, <strong>de</strong>tensions et <strong>de</strong> répressions, plus ces moments peuvent être fréquents et durables. Dans lemon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne occi<strong>de</strong>ntal ils sont <strong>de</strong> plus en plus rares et chacun, <strong>de</strong> plus en plus, est*
condamné à l’agitation perpétuelle.Hors <strong>de</strong> ces moments <strong>de</strong> plénitu<strong>de</strong>, l’homme ressent toujours un ma<strong>la</strong>ise, le besoin <strong>de</strong>quelque chose. Cette insatisfaction est <strong>la</strong> nature même <strong>de</strong> l’homme vivant dansl’ignorance. Et cette insatisfaction cherche toujours une <strong>com</strong>pensation. On dit que telle outelle activité d’un homme ou d’une femme est une <strong>com</strong>pensation à sa <strong>la</strong>i<strong>de</strong>ur, à sonincapacité aux étu<strong>de</strong>s, à sa situation professionnelle subalterne, à ses déceptionsamoureuses, à sa faiblesse physique, à sa petite taille. En vérité c’est toute <strong>la</strong> vie d’unhomme qui est une <strong>com</strong>pensation, une <strong>com</strong>pensation au fait qu’il n’est pas un être réalisé,un libéré, un sage. Il lui faut tout le temps <strong>com</strong>bler un vi<strong>de</strong>, agir, « faire quelque chose »pour pallier son inquiétu<strong>de</strong>, sa souffrance <strong>de</strong> n’être pas infini et illimité.Restez assis, immobile, sans rien faire, éprouvant seulement : « Je suis et tout est bien.» Combien <strong>de</strong> temps, honnêtement, pouvez-vous ressentir cette perfection ? Il manquequelque chose, n’importe quoi. Et l’homme va agir sans qu’aucune nécessité extérieure lelui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il va retourner se faire prendre au jeu <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong> <strong>la</strong> réaction, pour sapropre satisfaction. L’un ouvre un journal, un autre va boire ou manger quelque chosesans avoir faim ni soif, une autre donne un coup <strong>de</strong> téléphone qui ne s’impose nullement.Selon <strong>la</strong> tragique expression, il faut tuer le temps. Tout ce que fait l’homme ordinaire,tout, il le fait parce que c’est lui qui a besoin <strong>de</strong> le faire. Tout ce que fait le sage, tout, il lefait, au contraire, parce qu'une nécessité impersonnelle, qui n’a pas sa source en lui, le lui<strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Il répond librement. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s quelques impératifs physiologiques, le sagepeut rester indéfiniment en apparente inactivité — aussi apparemment inactif dans cemon<strong>de</strong> que nous le serons tous, après nous être tant agités, lorsque nous serons morts. Iln’est pas contraint d’agir. Ses actions sont <strong>de</strong>s réponses à une nécessité <strong>de</strong> <strong>la</strong>manifestation, autrement dit à une nécessité cosmique, même si ce mot paraît biensolennel pour les humbles besoins <strong>de</strong>s autres auxquels le sage pourvoit dans sa<strong>com</strong>passion sans limites.Le sage est un homme qui a résolu son problème fondamental : <strong>la</strong> prétention à êtreabsolument.L’homme ordinaire se croit in<strong>com</strong>plet. Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> toujours quelque chose à ce qu’ilressent <strong>com</strong>me extérieur à lui, autre que lui. Il attend, il es<strong>com</strong>pte, il espère. Sa paix, sajoie ne peuvent être que dépendantes. Mais <strong>la</strong> vie nous offre le miel sur un tranchant <strong>de</strong>rasoir et chaque espoir d’absolu investi sur quelque chose ou quelqu’un se sol<strong>de</strong> par unesouffrance. La véritable Espérance, celle dont parle le Nouveau Testament, ne naît quequand sont morts tous les espoirs. Le disciple apprend que toute attente individuelle estcondamnée à <strong>la</strong> déception : l’autre n’est pas moi et il est changeant. Personne ne peut<strong>com</strong>plètement <strong>com</strong>pter sur personne. Par cette approche négative s’ouvre le chemin <strong>de</strong> <strong>la</strong>non-dépendance et <strong>de</strong> <strong>la</strong> plénitu<strong>de</strong>. Celui qui voit vraiment et toujours le re<strong>la</strong>tif <strong>com</strong>mere<strong>la</strong>tif ne peut plus s’i<strong>de</strong>ntifier. L’indépendance est libre du temps (ka<strong>la</strong>) car elle esttoujours vraie, libre <strong>de</strong> l’espace (<strong>de</strong>sha) car elle est vraie partout, libre <strong>de</strong> <strong>la</strong> causalité(kârana et kârya) car elle est vraie en toutes circonstances.Que toutes les actions d’un homme ordinaire soient <strong>de</strong>s <strong>com</strong>pensations au fait qu’iln’est pas « réalisé », au fait qu’il y a lui et le reste du mon<strong>de</strong>, bien peu d’hommes peuvent
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’