singe <strong>de</strong> <strong>la</strong> Fable qui décrivait les vues projetées par une <strong>la</strong>nterne magique, mais ignoraitqu’il fal<strong>la</strong>it d’abord allumer celleci.Or il arrive qu’en certains cas un renforcement <strong>de</strong> l’ego soit justifié et il existe à ceteffet <strong>de</strong>s exercices provisoirement nécessaires. Rien ne paraît plus contraire à <strong>la</strong> survie <strong>de</strong>l’ego que l’attitu<strong>de</strong> fondamentale du chrétien « Ta volonté soit faite et non <strong>la</strong> mienne. » Jerenonce à tout ce qui m’est propre et je ne suis plus qu’un instrument pour faire <strong>la</strong> volonté<strong>de</strong> Dieu. Mais « Que ta volonté soit faite et non <strong>la</strong> mienne » signifie « Que ta volonté soitfaite et non ma volonté. » Or <strong>com</strong>ment un être intérieurement divisé, dont <strong>la</strong> natureessentielle est en contradiction avec ce que <strong>la</strong> société, <strong>la</strong> mère, le père, les maîtres,l’Eglise ont projeté sur lui et qu’il a assimilé, peutil parler <strong>de</strong> sa volonté ? En quoiconsiste sa volonté ? Consciemment il veut une chose, inconsciemment il en veut uneautre. Pour pouvoir dire « Que ta volonté soit faite et non <strong>la</strong> mienne », il faut avoir unevolonté. Certaines techniques vont renforcer <strong>la</strong> volonté, rendre l’ego plus cohérent. Fautildonc <strong>de</strong>scendre pour faire une ascension en montagne?La définition du sage, <strong>de</strong> l’être libéré, c’est <strong>de</strong> pouvoir dire « Je ne suis rien, ni ceci, nice<strong>la</strong>, et parce que je ne suis rien <strong>de</strong> particu<strong>la</strong>risé, je suis tout, je suis toute chose. » Son: «Je ne suis rien » est l’expression du plus haut ac<strong>com</strong>plissement. Mais il existe <strong>de</strong>s êtresqui ont été traumatisés, brisés, détruits par <strong>la</strong> vie, qui crient dans l’abîme <strong>de</strong> leur détresse :« Je ne suis rien, je ne suis rien, je ne suis rien », qui se sentent repoussés par tout et qui àleur tour refusent tout. Le maître leur enseignera d’abord à éprouver : « Je suis quelquechose », à développer un bon ego à partir duquel ils pourront marcher vers l’étatsansego.On ne peut donc apprécier aucun exercice lu dans un livre ou enseigné par un swamisans avoir une vue <strong>com</strong>plète <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation, <strong>la</strong> vue qu’on a du sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagne.Cette vue, personne ne l’a au départ. C’est le privilège exclusif du guru, du guru digne <strong>de</strong>ce nom.D’autre part, en ce qui concerne <strong>la</strong> plus célèbre et <strong>la</strong> plus à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong> en France <strong>de</strong> cestechniques, l’ascèse, le « yoga » et l’éveil <strong>de</strong> l’énergie <strong>la</strong>tente kundalini, il faut rappelerque ces enseignements initiatiques sont les éléments d’une tradition qui constituait untout. Tels qu’ils sont, ils s’adressent à <strong>de</strong>s candidats qui n’ont aucun rapport avecl’Européen mo<strong>de</strong>rne. Physiquement, ces aspirants doivent déjà possé<strong>de</strong>r une santéexcellente et avoir mené, <strong>de</strong>puis leur enfance, une certaine forme <strong>de</strong> vie, avec unecertaine alimentation. Dès le gurukoul, les enfants apprenaient à manger attentivement etsans parler, à mâcher <strong>la</strong> nourriture et à en percevoir pleinement le goût, à respirer, àrelâcher leurs muscles, à dormir <strong>com</strong>me il convient. Que <strong>de</strong>s gens fument, c’estnaturellement leur droit. Mais que <strong>de</strong>s fumeurs, qui ne peuvent pas s’arrêter <strong>de</strong> fumer,parlent sérieusement <strong>de</strong> pratiquer les formes supérieures du rajayoga, c’est aussiaberrant que <strong>de</strong> vouloir faire <strong>de</strong> <strong>la</strong> plongée sousmarine sans savoir nager.Émotionnellement les jeunes gens élevés au gurukoul étaient encore plus différents dujeune homme ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> jeune femme <strong>de</strong> nos Facultés. Pendant leur adolescence ou pério<strong>de</strong><strong>de</strong> brahmacharya (célibat consacré à l’étu<strong>de</strong> du brahman) le guru se rendait <strong>com</strong>pte <strong>de</strong> <strong>la</strong>qualification (svadharma) particulière <strong>de</strong> chacun. La plupart étaient <strong>de</strong>stinés au secondâge (ashrama) <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie et engagés dans <strong>la</strong> vie conjugale et sociale (grihastha). Mais
certains, qui n’avaient besoin ni <strong>de</strong> vie sexuelle, ni d’avoir <strong>de</strong>s enfants, ni <strong>de</strong> gagner <strong>de</strong>l’argent abordaient immédiatement le <strong>de</strong>rnier ashrama et <strong>de</strong>venaient sannyâsin, moinesconsacrés par une initiation et disciples d’un maître dans celui <strong>de</strong>s yogas ou celle <strong>de</strong>svoies (marga) convenant à leur tempérament.L’hindou traditionnel qui, à n’importe quel âge <strong>de</strong> sa vie, veut tout abandonner pour seconsacrer à <strong>la</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réalité suprême par <strong>la</strong> voie du yoga est parfaitement «normal » et prêt à abor<strong>de</strong>r le domaine du supranormal. C’est un être sans gros problèmeindividuel et sans contradictions en lui. Comparé à lui, l’Européen mo<strong>de</strong>rne qui se <strong>de</strong>stineau yoga est, au contraire, presque toujours anormal même si son état ne lui paraît releverni du psychanalyste ni du psychothérapeute. Nul ne peut aller directement <strong>de</strong> l’anorma<strong>la</strong>u supranormal sans passer d’abord par le normal. L’homme mo<strong>de</strong>rne est le fruit d’unesociété, d’une conception <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille, d’un enseignement, d’une série d’influences(presse, cinéma, télévision) qui ont cristallisé son individualisme et son égoïsmeinfantiles et le ren<strong>de</strong>nt aussi peu qualifié que possible pour abor<strong>de</strong>r sans préparation lesdisciplines traditionnelles.Je veux préciser ce point parce qu’il est essentiel et, j’ai eu cent fois l’occasion <strong>de</strong>m’en rendre <strong>com</strong>pte, fort peu <strong>com</strong>pris <strong>de</strong> mes frères et sœurs français attirés par le yoga,le zen, le védanta ou <strong>la</strong> méditation. La super gran<strong>de</strong> réalisation extraordinaire,transcendante et sublime <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réalité ultime, illimitée, infinie, éternelle, etc., estsimplement « l’état sans ego ». <strong>Les</strong> grands sages hindous, tibétains, soufis, avec leurnoblesse d’un autre mon<strong>de</strong>, leur regard souvent insoutenable, leurs pouvoirsexceptionnels et leur paix in<strong>com</strong>préhensible sont « sans ego ». Et sans ego, ce<strong>la</strong> veutd’abord dire sans égoïsme. L’intérêt pour l’autre, <strong>la</strong> prise en considération <strong>de</strong> l’autre,imprègnent tout l’hindouisme, tout le bouddhisme et toute société fondée sur unetradition.Vu du <strong>de</strong>hors, et par les aveugles que nous sommes, l’ordre traditionnel apparaît<strong>com</strong>me un carcan tyrannique qui brise <strong>la</strong> liberté <strong>de</strong>s êtres et il n’est question qued’affranchissement et d’émancipation. Mais <strong>de</strong>s années (exactement quinze ans)d’observations répétées en In<strong>de</strong>, au Bhoutan, chez les Tibétains et au cœur <strong>de</strong> l’Is<strong>la</strong>m,m’ont prouvé et confirmé que cet ordre, du moins lorsqu’il est toujours vivant et non pasdégénéré, est au contraire <strong>la</strong> condition <strong>de</strong> <strong>la</strong> vraie liberté <strong>de</strong> l’homme, <strong>la</strong> liberté intérieure,<strong>la</strong> liberté psychologique. Pourquoi ? Parce que les enfants sont parfaitement <strong>de</strong>s enfants,les adolescents <strong>de</strong>s adolescents, les femmes <strong>de</strong>s femmes, les hommes <strong>de</strong>s hommes et,surtout, les adultes <strong>de</strong>s adultes. Or, si l’enfant a besoin que les autres vivent pour lui, <strong>la</strong>définition <strong>de</strong> l’adulte est, inversement, <strong>de</strong> vivre pour les autres. Le mot sanscrit seva,service, est un mot magique pour les hindous. C’est avec le mot seva que Gandhi a réussià mobiliser l’In<strong>de</strong>. Et le premier service est le service <strong>de</strong> Dieu sous <strong>la</strong> forme <strong>de</strong> sescréatures ou <strong>de</strong> l’atman en toutes ses manifestations. L’enfant, dès son jeune âge, voit sesparents servir le sadhou, le religieux itinérant. L’homme entre tous respecté et admirén’est pas <strong>la</strong> ve<strong>de</strong>tte <strong>de</strong> cinéma, le richissime businessman ou le politicien à <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, maisl’homme le plus pauvre <strong>de</strong> tous qui n’a que son bol et sa robe. Devant lui, le petit enfant avu son père et sa mère se prosterner avant <strong>de</strong> lui <strong>la</strong>ver les pieds ou <strong>de</strong> lui servir à manger.J e me souviens, lors <strong>de</strong> mon premier séjour à Bénarès, en 1959, d’un jeune garçon, ca<strong>de</strong>t
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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