Soi impersonnel, il est vrai aussi qu’aujourd’hui nous sommes l’émotion. Une chose quenous avons, nous pouvons <strong>la</strong> déposer, nous en débarrasser. Si nous ne pouvons pas nousdébarrasser d’une souffrance ou d’un énervement ou d’une colère <strong>com</strong>me nous voulons,c’est parce que cette émotion négative n’est pas quelque chose que nous avons maisquelque chose que nous sommes. Je suis l’émotion pénible mais tout en moi <strong>la</strong> refuseparce qu’elle est pénible : je refuse d’être ce que je suis.Puisque je suis <strong>la</strong> souffrance, eh bien! que je sois ce que je suis aussi parfaitement etaussi <strong>com</strong>plètement que possible. Voilà <strong>la</strong> vérité. Il y a l’émotion douloureuse, il y a <strong>la</strong>voix en moi qui dit non, qui refuse, qui crée <strong>la</strong> division. Et il y a un troisième élément : <strong>la</strong>conscience, <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce, le vrai « je », qui peut opter pour <strong>la</strong> vérité. Si je suis <strong>la</strong>souffrance d’une façon parfaite, je ne souffre plus. C’est une expérience que tout lemon<strong>de</strong> peut faire à condition d’avoir le courage d’aller jusqu’au bout sans arrièrepensée.Peu à peu, le nonmanifesté, qui ne s’était jamais vraiment manifesté parce qu’il y avaittoujours eu refus et dualité, va s’épuiser. Notre potentiel <strong>de</strong> souffrance va s’épuiser.Seulement il ne faut pas souffrir mécaniquement, il faut souffrir consciemment. La faussesouffrance fondée sur <strong>la</strong> peur, le refus, <strong>la</strong> division doit faire p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> vraie souffrance.Non seulement il faut vivre ce potentiel <strong>de</strong> souffrance quand l’existence nous le proposemais le rôle <strong>de</strong> l’ascèse, dans certains cas, est aussi <strong>de</strong> favoriser au maximum cettemanifestation.Quand on a une fois, <strong>de</strong>ux fois, eu le courage d’aller jusqu’au bout <strong>de</strong> l’acceptationd’une tension ou d’une angoisse et découvert qu’au moment où l’acquiescement est<strong>de</strong>venu parfait, où <strong>la</strong> dualité a disparu, l’émotion si pénible a elle aussi disparu, disparud’un seul coup, <strong>la</strong> voie change d’aspect.Le mouvement d’acceptation <strong>de</strong>vient permanent: à l'instant même où l’émotion seprésente, l’adhésion totale — qui nous avait d’abord <strong>de</strong>mandé tant d’effort — estimmédiate. Par l’acceptation sans réserve, les émotions sont dissipées au moment mêmeoù elles apparaissent.Si nous pensons être libérés d’une émotion particulière, soyons vrais : estce que noussommes réellement délivrés <strong>de</strong> cette possibilité <strong>de</strong> souffrance parce que le nonmanifestéa disparu ? Ou estce que nos mécanismes <strong>de</strong> répression sont <strong>de</strong>venus plus forts, plusefficaces et plus au point? Le barrage permet apparemment <strong>de</strong> souffrir moins. C’est lefruit <strong>de</strong> <strong>la</strong> peur et l’impossibilité d’arriver à <strong>la</strong> vraie liberté. Si ce barrage a été construit, ilfaut avoir le courage <strong>de</strong> le démolir soimême pour retourner à <strong>la</strong> source, à <strong>la</strong> racine <strong>de</strong>notre misère. Voici <strong>la</strong> voie.Alors <strong>la</strong> surface et <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur se réunissent.Alors le vrai « je » apparaît et <strong>de</strong>vient actif tandis que le mental perd son pouvoir, sonpouvoir <strong>de</strong> mensonge et <strong>de</strong> souffrance.« Je » peut voir, calculer, délibérer, utiliser <strong>la</strong> fonction intellectuelle ou l’intelligence.« Je » est paix, calme, stabilité, harmonie. Il paraît recouvert par le mental, lequel « pense*
» pour nous, à notre p<strong>la</strong>ce, à longueur <strong>de</strong> journée. Mais quand le soleil est couvert par lesnuages et que je ne le vois plus, n’estce pas plutôt que mes yeux sont couverts par cesnuages ? « Je » est là, à ma disposition, mais c’est moi qui en suis coupé, exilé, par mesémotions et mes pensées.Ce moi, porteparole du mental, ne peut jamais être un avec qui que ce soit ou quoique ce soit, pas même avec le guru, le maître. Par contre il peut, et il ne s’en prive pas,s’i<strong>de</strong>ntifier avec les uns et les autres. S’i<strong>de</strong>ntifier signifie que le « je » a disparu. You arenowhere. Vous n’êtes nulle part. There is no doer. Il n’y a personne pour faire.Faire (Dans l’enseignement <strong>de</strong> G. Gurdjieff, « faire » est aussi <strong>la</strong> donnée fondamentalecf. Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu) est peutêtre le mot le plusimportant <strong>de</strong> tous. Qu’estce que votre maître vous enseigne ? Mon maître m’enseigne à «faire ». À ce sujet, l’ang<strong>la</strong>is, qui est <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue à travers <strong>la</strong>quelle j’ai acquis toutes mesconnaissances, est favorisé par rapport au français. Là où nous n’avons que le seul motfaire, l’ang<strong>la</strong>is dispose <strong>de</strong> to make et <strong>de</strong> to do. To make signifie à peu près fabriquer, todo a un sens métaphysique. Je citerai donc en ang<strong>la</strong>is les paroles mêmes <strong>de</strong> mon guru: «To do, there must be a doer. » « Pour faire, il faut quelqu’unquifasse. » Peutêtrepourraiton traduire aussi par : pour agir, il faut un agent (ou un acteur).Le doer est une question <strong>de</strong> niveau d’être. Chez l’homme contemporain ordinaire,produit <strong>de</strong> l’éducation actuelle, le doer est presque toujours et presque tout le tempsinexistant. Doer implique <strong>la</strong> vigi<strong>la</strong>nce, <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> soi, et surtout l’unificationintérieure et <strong>la</strong> libération visàvis <strong>de</strong> <strong>la</strong> toutepuissance <strong>de</strong> l’inconscient. Doer supposeaussi <strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns supérieurs <strong>de</strong> l’être, <strong>de</strong>s corps (sharir) subtils. Mais cen’est là qu’une étape sur <strong>la</strong> voie, un passage <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification à <strong>la</strong> liberté et l’unité.Le doer absolu, c’est le sage. Il n’y a plus <strong>de</strong> doer, il n’y a que l’acte, il n’y a que «faire ». C’est exactement l’inverse <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation ordinaire, c’est <strong>la</strong> pure Conscience.Dans le véritable faire, actif et passif sont unifiés. Faire, c’est activement <strong>la</strong>isser se faire.Être i<strong>de</strong>ntifié c’est être emporté, entraîné passivement. L’homme doit <strong>de</strong>venir actif,doit <strong>de</strong>venir un participant actif à <strong>la</strong> manifestation. Plus exactement actif et passif doiventse réconcilier, se neutraliser, se réunir. Il faut se soumettre, soumettre l’ego séparé etséparant, en acceptant <strong>la</strong> justice <strong>de</strong> chaque situation: non pas ce que mon ego aime et veutmais ce qui est vrai et juste. Cette soumission doit être active et vigi<strong>la</strong>nte. L’ego souffre<strong>de</strong> <strong>la</strong> séparation mais il veut maintenir ses prérogatives. Il entend <strong>com</strong>bler <strong>la</strong> séparation enrefusant les différences. Il veut créer l’autre à son image. Ayant fait <strong>de</strong> son mon<strong>de</strong> lemon<strong>de</strong>, l’ego est toujours le centre du mon<strong>de</strong>. Niant <strong>la</strong> différence, il éprouve à sa façon etinconsciemment: « L’autre, c’est moi. » Ce sont les paroles mêmes du jivanmukta, dusage. Mais l’ego ajoute : « L’autre va aimer ce que j’aime, vouloir ce que je veux, agir<strong>com</strong>me je l’entends. » Ce faisant, il se soumet passivement au pouvoir <strong>de</strong> l’autre. Dès quele <strong>com</strong>portement <strong>de</strong> l’autre ne correspond plus à l’attente <strong>de</strong> l’ego, l’émotion naît et, avecelle, voici le mental au lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision, <strong>la</strong> réaction au lieu <strong>de</strong> l’action. C’est un statutd’esc<strong>la</strong>ve.Si le « je » actif apparaît, il peut voir et sentir les différences. La différence n’est pas <strong>la</strong>
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’