liquidée — au prix d’un abandon héroïque <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> reniement et <strong>de</strong> répression—, il n’y a aucune possibilité, pour l’individu, <strong>de</strong> faire face à <strong>la</strong> loi universelle <strong>de</strong>l’impermanence et d’y participer joyeusement. Le non à ce qui est conserve sa toutepuissance.Ainsi, <strong>la</strong> Réalité est l’instabilité, le flux incessant, mais un autre en nous plus puissantque nousmêmes refuse <strong>de</strong> l’admettre. Parfois aussi, malgré les tentatives répétées pourétablir un lien entre les moments <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> soi au calme et les momentsd’emportement ou d’émotion, cet effort s’avère impossible. <strong>Les</strong> efforts renouvelés nousconvainquent <strong>de</strong> notre échec. L’émotion est beaucoup plus forte que nous. Vient un jouroù nous ne pouvons plus continuer <strong>com</strong>me ce<strong>la</strong> : c’est au<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> notre dignité. Cetesc<strong>la</strong>vage <strong>de</strong>vient notre vraie souffrance que ne peut plus <strong>com</strong>penser ou masquer aucunsuccès extérieur ni aucune peine passagère.Alors nous posons <strong>la</strong> question : « Pourquoi ? » Pourquoi en estil ainsi ? Celui quipose <strong>la</strong> question « pourquoi » a déjà mis le pied sur le chemin <strong>de</strong> <strong>la</strong> Libération. Il veuttrouver <strong>la</strong> cause, <strong>la</strong> source. Si notre « non », notre refus,notre agressivité <strong>de</strong>meurent plus forts que nous, il faut trouver <strong>la</strong> réponse au «pourquoi ». Tant que nous sommes emportés malgré nous, nous sommes vaincus même sinous marquons <strong>de</strong>s points contre les autres, même si nous obtenons gain <strong>de</strong> causematériellement.L’humanité ordinaire se divise en <strong>de</strong>ux catégories d’êtres : ceux dont <strong>la</strong> force pluspuissante qu’eux s’exprime par « Viens » et ceux dont <strong>la</strong> force plus puissante qu’euxs’exprime par : « Vat’en. » Une fois encore il faut en revenir à <strong>la</strong> donnée essentielle :dualisme et nondualisme. Le sage, établi dans <strong>la</strong> nondualité, ressent tout l’univers<strong>com</strong>me contenu à l’intérieur <strong>de</strong> sa propre conscience. Il n’y a pas un autre que lui. Il<strong>de</strong>meure en tout et tout <strong>de</strong>meure en lui. Au contraire, l’homme ordinaire, soumis à <strong>la</strong>croyance en <strong>la</strong> séparation, vit dans le désir et <strong>la</strong> peur à cause <strong>de</strong> tout ce qui n’est pas lui :êtres et choses. Pour <strong>com</strong>penser ce drame du moi et du nonmoi, <strong>de</strong>ux réactions sontpossibles, dont l’une ou l’autre prédomine suivant les individus. La première consiste àprendre, possé<strong>de</strong>r, faire soi ou faire à soi. C’est elle que désigne généralement le motamour. La secon<strong>de</strong> à nier, à détruire, à tuer, réellement ou symboliquement, ce ou celuiqui marque ma limitation. C’est ce qu’on appelle <strong>la</strong> haine. Dans les <strong>de</strong>ux cas, <strong>la</strong> présence<strong>de</strong> l’autre en tant qu’un autre que moi est refusée. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux réactions, d’apparencestrictement contraire, poursuivent le même but : annihiler <strong>la</strong> dualité, rétablir l’unité,l’unicité.Le type <strong>de</strong> réaction s’enracine dans les profon<strong>de</strong>urs du psychisme. La dualité provoque<strong>la</strong> peur mais cette peur est parfois celle d’être abandonné, parfois celle d’être tué. L’uneou l’autre existe en nous à l’état <strong>la</strong>tent et se réveille lorsqu’elle est excitée ou attisée parune cause extérieure. Naturellement, en chaque être humain, les <strong>de</strong>ux tendancescoexistent. Mais l’une se manifeste généralement tandis que l’autre ne s’exprime pas.Celui ou celle qui, lors d’une divergence <strong>de</strong> vues avec l’autre, se sent abandonné et dontl’attitu<strong>de</strong> est celle du « Viens », veut aussi inconsciemment tuer celui ou celle quil’abandonne. Celui ou celle qui, dans <strong>la</strong> même situation <strong>de</strong> désaccord, se sent agressé et
dont le <strong>com</strong>portement est celui <strong>de</strong> « Vat’en » supplie inconsciemment l’autre <strong>de</strong> ne pasle quitter.Si nous n’avons aucune possibilité <strong>de</strong> maîtrise sur une certaine situation type, c’estque, chaque fois, nous ne vivons pas <strong>la</strong> situation mais une autre gravée, marquée,imprimée en nous dans <strong>la</strong> petite enfance. Un enfant s’est senti abandonné par sa maman.Devenu adulte, il s’angoisse dès que son épouse est en retard ou manifeste son désaccordmême sur un détail secondaire. Une petite fille a été, ne seraitce qu’une fois, agressée parson père ou sa mère. Devenue femme, elle se sent inconsciemment menacée <strong>de</strong> mortparce que son mari lui adresse une critique insignifiante. Certains sont mis en questionparce qu’un ami ne répond pas à une lettre, d’autres parce qu’une lettre n’est pas cellequ’ils espéraient. Certains se sentent sans cesse tués par abandon, d’autres tués paragression. A <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés différents, tout le mon<strong>de</strong> rentre dans une <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux catégories, toutle mon<strong>de</strong> est prisonnier du passé. Une épouse dit à son mari : « Je m’absente <strong>de</strong>uxminutes. »Entreprenant <strong>de</strong> faire <strong>la</strong> vaisselle ou <strong>de</strong> se coiffer elle n’est pas revenue dans <strong>la</strong>chambre vingt minutes plus tard. Si par exemple — un exemple bien courant et banal —l’époux est un aîné qui a perdu « sa maman à lui » lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> naissance du ca<strong>de</strong>t, il n’y apas dans <strong>la</strong> pièce un adulte dont <strong>la</strong> femme a changé d’avis mais, dans le corps d’unadulte, un enfant que sa mère, sa mère telle qu’il <strong>la</strong> connaissait, sa mère qui était tout pourlui, a « abandonné » et n’est jamais revenue. Si un homme <strong>de</strong> trente ans a envie <strong>de</strong>frapper le menuisier qui a raté sa bibliothèque, s’il veut le tuer, c’est pour se défendreparce qu’il croit qu’il va être tué. Qui, qui veutil tuer aujourd’hui par qui il s’est sentiassassiné autrefois ? En ces instants, il ne faut surtout pas se contenter <strong>de</strong> dire que c’estl’événement extérieur qui est responsable et qu’il est tout à fait normal d’avoir réagi sifortement.Quand un adulte réagit violemment, hors <strong>de</strong> proportion avec <strong>la</strong> situation donnée, c’estque les gens ou les événements lui font beaucoup plus mal, infiniment plus mal, qu’ils nelui font apparemment, pour <strong>de</strong>s yeux extérieurs. Seuls peuvent le <strong>com</strong>prendre ceux quiont vécu ces mécanismes en eux et qui s’en sont rendus libres, ce qui n’est pas un cheminaisé, bien loin <strong>de</strong> là.La vie, ou <strong>la</strong> manifestation, est un perpétuel changement. Pour le sage, cettepermanence apparaît <strong>com</strong>me une fête, une fête éternelle <strong>de</strong> nouveauté. Tout est neuf, toutle temps, toujours, partout. L’homme ordinaire au contraire gar<strong>de</strong> <strong>la</strong> nostalgie d’autrefois,<strong>de</strong> l’enfance, du bon vieux temps, ou projette sur l’avenir <strong>la</strong> peur du passé. Il porte ettraîne partout avec lui le poids, le far<strong>de</strong>au du passé. Il n’est jamais parfaitement dans leprésent, encore moins dans « l’éternel présent » (timeless time). Etre libre du passé, c’estêtre aussi libre du futur, libre du temps, libre <strong>de</strong> <strong>la</strong> cause et <strong>de</strong> l’effet, libre <strong>de</strong> <strong>la</strong>multiplicité.Se libérer du passé — un passé qui remonte bien au<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette existence — c’est ence<strong>la</strong> que consiste essentiellement <strong>la</strong> voie.
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toutes choses. » Quel homme ? L’