feu, et pour <strong>la</strong> réadaptation au mon<strong>de</strong> réel <strong>de</strong>s enfants partis dans leur mon<strong>de</strong> imaginaire.Je sais que tout ce que je dis là est proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychologie mo<strong>de</strong>rne. C’est pourquoije tiens à préciser une fois encore que mes sources sont orientales et anciennes. J’écris cespages pendant <strong>la</strong> mousson <strong>de</strong> 1970, dans un petit ashram du Bihar où je séjourne. Je n’aiaucune formation psychanalytique et je ne cherche pas à parler en amateur d’un domaineque je ne connais qu’indirectement. Je parle <strong>de</strong> ce que j’ai étudié pendant <strong>de</strong>s années, enAsie. Tant mieux si une partie <strong>de</strong>s vérités que nous avions perdues en Occi<strong>de</strong>nt est peu àpeu retrouvée. Mais il faut bien dire aussi qu’il y a <strong>de</strong>ux différences fondamentales entre<strong>la</strong> psychothérapie et les enseignements initiatiques : celle <strong>de</strong> leur origine et celle <strong>de</strong> leurbut.Il y a aussi —je ne peux pas le cacher — un abîme entre un « maître » ou un « sage »et un psychothérapeute. <strong>Les</strong> maîtres auxquels je pense ne sont pas <strong>de</strong>s êtres fabuleux,inaccessibles, <strong>de</strong>s personnages <strong>de</strong> spiritualitéfiction. A part le nom <strong>de</strong> mon guru (quitient à rester ignoré), j’ai donné, dans mes précé<strong>de</strong>nts livres, les noms et parfois lesphotos <strong>de</strong> beaucoup parmi les sages que j’ai approchés. D’autres que moi les ontrencontrés. Je ne veux pas agrémenter les lieux où j ‘ai étudié, les maîtres qui m’ontenseigné, d’un brouil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong> « merveilleux » et <strong>de</strong> « surnaturel ». Et pourtant je sais — etd’autres Occi<strong>de</strong>ntaux, mé<strong>de</strong>cins, chercheurs, scientifiques, savent aussi — que ces termesseraient justes et que, seuls, ils peuvent traduire ce sentiment d’infini et <strong>de</strong> perfection quisont évi<strong>de</strong>nts auprès d’un véritable sage.Je voudrais seulement montrer dans ce chapitre que le chemin vers le Soi (atman) estd’abord barré par les fonctionnements anormaux <strong>de</strong> notre psychisme. Aux yeux du sage,nous sommes tous <strong>de</strong>s aliénés. En effet, l’éducation que nous avons reçue aessentiellement consisté à nous imposer <strong>com</strong>me but, parfois paré du beau nom d’« idéal», d’être un autre que nousmêmes. Petit pommier, si tu veux être un vrai homme, il fautque tu produises <strong>de</strong>s oranges (<strong>la</strong> couleur est plus belle), <strong>de</strong>s mangues (tu montreras que tun’es pas n’importe qui) ou <strong>de</strong>s cerises (il y en a tellement plus par arbre à chaqueprintemps), pas <strong>de</strong>s pommes.En même temps que l’enfant est coupé du mon<strong>de</strong> extérieur et apprend à en nier <strong>la</strong>réalité, on lui enseigne aussi à nier son mon<strong>de</strong> intérieur, ses impulsions, ses désirs, seshaines, à avoir honte <strong>de</strong>s pensées et <strong>de</strong>s émotions que sa souffrance fait naître en lui.L’inci<strong>de</strong>nt fondamental, <strong>la</strong> source <strong>de</strong> son refus du mon<strong>de</strong> est oubliée. Mais cette racinesubsiste dans le nonmanifesté. On peut même physiquement, organiquement, <strong>la</strong> localiserdans <strong>la</strong> poitrine, dans le « cœur » en tant que siège <strong>de</strong>s émotions ou du sentiment.Indirectement, elle ne cesse <strong>de</strong> se manifester, les situations nouvelles sont vécues àtravers le cadre préétabli inconscient. L’enfant (et l’adulte continuera) vit tout à travers cemoule qui s’est formé quand il avait <strong>de</strong>ux ans, <strong>de</strong>ux mois, <strong>de</strong>ux semaines, ou mêmemoins. Toutes les situations, toutes les re<strong>la</strong>tions sont appréhendées inconsciemment<strong>com</strong>me répétant cette situation initiale. Inconsciemment, il sent partout <strong>la</strong> même menace(séparation, perte, agression, trahison). Il voit en tous les mêmes acteurs (le père, <strong>la</strong> mère,un frère, une sœur, luimême avant ou après le drame). Naturellement s’élèvent en lui <strong>de</strong>s*
désirs intenses, immenses, merveilleux <strong>de</strong> possession, <strong>de</strong>s haines farouches fondées sur sapeur, <strong>de</strong>s jalousies déchirantes. La manifestation, l’expression <strong>de</strong> ces émotions lui vautpresque toujours un : « Tu ne dois pas », « Tu ne <strong>de</strong>vrais pas » ou : « Ce n’est pas bien. »Il est probable que lorsque le petit enfant a voulu exprimer <strong>la</strong> terreur ou le désespoirsuscités par son drame initial, cette expression (cris, sanglots, violence, rage) n’a faitqu’aggraver sa situation. Il <strong>com</strong>prend confusément que plus il veut regagner ce qu' il aperdu ou effacer ce qu’il a subi, plus le mal augmente. Au lieu d’exprimer, repousser au<strong>de</strong>horsce qui l’opprime, il apprend <strong>de</strong> luimême à réprimer. Pour l’enfant, être luimême,naturel, c’est manifester sa souffrance. Si ce<strong>la</strong> ne lui est pas possible, s’il ressentconfusément qu’il ne doit pas exprimer librement, qu’il ne doit pas être spontané, il sentdu même coup qu’il ne peut pas, qu’il ne doit pas être luimême. C’est <strong>la</strong> pire tragédie quipuisse arriver à un être humain. L’enfant va <strong>de</strong>meurer infantile, mais il ne sera plusjamais « pareil à un petit enfant » au sens que le Christ donnait à ces mots. Le besoinprimordial d’être soimême <strong>de</strong>meure dans l’inconscient. Non seulement il y a conflitentre le conscient et l’inconscient mais l’inconscient luimême est un conflit entrel’expression et <strong>la</strong> répression, le désir <strong>de</strong> manifester et <strong>la</strong> peur — ou même <strong>la</strong> terreur — <strong>de</strong>manifester, le désir d’être soimême et <strong>la</strong> peur d’être soimême, et cette situation va durertoute <strong>la</strong> vie. Plonger dans son inconscient, c’est souvent <strong>de</strong>venir le témoin <strong>de</strong> ce <strong>com</strong>batdéchirant, <strong>de</strong> cette « dualitéEnsuite cette tendance est renforcée par les menaces ou les injonctions <strong>de</strong>s éducateurset leurs appels au bien. Des réactions inévitables, normales, sont attribuées à Satan,considérées <strong>com</strong>me honteuses. On ne se préoccupe pas <strong>de</strong> savoir quelle peut bien en être<strong>la</strong> source cachée. On les juge et on apprend à l’enfant à les juger, à se refuser luimême aulieu <strong>de</strong> se <strong>com</strong>prendre luimême. En même temps, on lui propose un idéal absolumentinaccessible et que ceux qui le lui imposent savent très bien n’avoir pas réalisé euxmêmes.Si bien que le mental <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s enfants est déchiré par cette contradiction:« Je dois » et « Je ne peux pas », situation éminemment douloureuse qui est naturellementréprimée elle aussi et <strong>com</strong>pensée par une nouvelle acrobatie <strong>de</strong> ce même mental. Unenfant ne <strong>de</strong>vrait jamais éprouver: « Je n’ai pas pu »mais, au contraire: «J’ai pu ceci»,même si ce n'est qu’un petit peu. L’expression négative est toujours fausse, car elle faitintervenir <strong>la</strong> <strong>com</strong>paraison avec « un autre » qui, lui, aurait pu. L’enfant perçoit qu’il auraitdû être cet autre, que cet autre est luimême tel qu’il <strong>de</strong>vrait être. Or, notoirement, cen’est pas lui. Par là, <strong>la</strong> prétendue éducation crée seulement <strong>la</strong> division, alors que l’unitéou le nondualisme est toujours et partout <strong>la</strong> vérité. L’attitu<strong>de</strong> positive: « J’ai pu jusquelà» préserve chez l’enfant le sentiment d’être luimême. C’est <strong>la</strong> promesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> croissanceet du progrès. Le pire crime que puisse <strong>com</strong>mettre un éducateur c’est <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r àl’enfant d’être un autre que luimême. Seul est fort celui qui est luimême.Peu à peu le fossé entre <strong>la</strong> vérité et le mental, le cœur et <strong>la</strong> tête, <strong>la</strong> profon<strong>de</strong>ur et <strong>la</strong>surface, moimême et une caricature <strong>de</strong> moimême, s’é<strong>la</strong>rgit et s’approfondit jusqu’à cequ’il n’y ait plus aucune <strong>com</strong>munication consciente possible. Le boulot <strong>de</strong>s éducateurs estterminé. Il n’y a plus qu’à rajouter une petite touche <strong>de</strong> temps en temps. A l’âge <strong>de</strong> cinqou six ans, <strong>la</strong> partie est jouée. Le reste n’est plus que du figno<strong>la</strong>ge. Voilà un enfant bienélevé, un adolescent révolté; un adulte névrosé, un être humain aliéné, <strong>de</strong>venu un autre
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