3. Vivre au présentNon seulement l’homme ne perçoit pas <strong>la</strong> Réalité ultime mais il ne voit même pastelles qu’elles sont les apparences du mon<strong>de</strong> phénoménal. Il ne les voit qu’à travers levoile ou l’écran <strong>de</strong> son mental. Et ce mental a <strong>com</strong>me propriété <strong>de</strong> faire toujours <strong>de</strong> toutesles choses autre chose que ce qu’elles sont. Cet aveuglement porte d’ailleurs un nom trèsnoble il s’appelle « penser ».Toute <strong>la</strong> psychologie, toute <strong>la</strong> haute <strong>sagesse</strong> se résument en <strong>de</strong>ux termes je et monmental.« Je » peut voir et sentir, acquiescer aux êtres et aux événements tels qu’ils sont. C’estma vérité, faite pour être une avec toute vérité. C’est aussi <strong>la</strong> paix, l’équilibre, l’harmonie.Mais mon mental me condamne à vivre dans le mon<strong>de</strong> irréel, artificiel et superficiel qu’i<strong>la</strong> construit et ne cesse <strong>de</strong> renforcer. Il craint <strong>de</strong>s dangers inexistants, espère <strong>de</strong>s résultatsimpossibles, tire <strong>de</strong>s conclusions erronées, se cramponne à <strong>de</strong>s valeurs fausses et accuseles autres <strong>de</strong> ses propres torts. Pour le mental rien n’est jamais neutre, tout est bon oumauvais selon ce qui lui p<strong>la</strong>ît ou lui dép<strong>la</strong>ît. Le mental ne fonctionne que par<strong>com</strong>paraisons et en référence à <strong>de</strong>s souvenirs inconscients, selon le moule d’expériencesinfantiles lointaines et oubliées qui dirigent à notre insu toutes nos réactions, tous nossuccès, tous nos échecs. Si l’amour « excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout» (saint Paul), le mental, lui, invente tout, dénature tout, interprète tout, déforme tout. Laplus belle prouesse du mental est <strong>de</strong> nous imposer même une conception <strong>de</strong> ce queseraient notre vérité et notre Spontanéité. Si nous tentons <strong>de</strong> re<strong>de</strong>venir nousmêmes, nousvoyons qu’à l’intérieur d’un mensonge se trouve un autre mensonge à l’intérieur duquelse trouve un autre mensonge, etc. Nous ne savons plus <strong>com</strong>ment nous exprimersincèrement et authentiquement.Pour être entièrement mensonger, le mon<strong>de</strong> créé et surimposé au mon<strong>de</strong> réel n’en estpas moins tout à fait cohérent et convaincant. Quand je parle ici du mon<strong>de</strong> réel, j’entendsle mon<strong>de</strong> re<strong>la</strong>tivement réel, celui <strong>de</strong>s phénomènes, <strong>de</strong> <strong>la</strong> multiplicité, <strong>de</strong> <strong>la</strong> successiondans le temps.Le sage, qui est passé du p<strong>la</strong>n normal au p<strong>la</strong>n supranormal, a réalisé <strong>la</strong> Conscienceillimitée, unique, libre du temps, <strong>de</strong> l’espace et <strong>de</strong> <strong>la</strong> causalité. Mais dans le mon<strong>de</strong>mo<strong>de</strong>rne, 90 % <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes, surtout parmi ceux qui préten<strong>de</strong>nt au supranormal,n’ont même pas accès au mon<strong>de</strong> normal, au mon<strong>de</strong> re<strong>la</strong>tivement réel. Ils sontentièrement prisonniers du mon<strong>de</strong> illusoire et fantastique sans cesse produit et maintenupar le mental et les émotions. Le mon<strong>de</strong> vrai, perçu par ceux qui ont « <strong>de</strong>s yeux pour voir», et celui du mental se <strong>com</strong>posent <strong>de</strong>s mêmes éléments mais sont radicalementdifférents, sans <strong>com</strong>mune mesure. La psychologie a <strong>com</strong>mencé à étudier cette question,notamment le mécanisme <strong>de</strong>s « projections ». « Tout ce qui est inconscient est projeté »,projeté sur les objets et sur les êtres.Préserver au maximum <strong>la</strong> vision <strong>de</strong>s enfants, empêcher au maximum <strong>la</strong> formation dumental a été — et <strong>de</strong>vrait être — le principe directeur <strong>de</strong> toute éducation. <strong>Les</strong> lois etmême <strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> cette éducation consciente peuvent encore se retrouver aujourd’hui,
ici et là, en Orient, où ceux que ce<strong>la</strong> intéresse peuvent les étudier. Le mot d’ordre <strong>de</strong>l’éducation traditionnelle a toujours été apprendre à l'enfant à voir et accepter <strong>de</strong> façonneutre ce qui est. Ce même terme ang<strong>la</strong>is neutral est celui qui est employé, en <strong>la</strong>ngageautomobile, pour désigner le point mort, lorsqu’on n’a engagé aucune vitesse.L’enfant apprend à voir sans engager émotionnellement ses préférences, sesrépulsions, sans le terrible écran qui consiste à penser que ce<strong>la</strong> pourrait être ou <strong>de</strong>vraitêtre autrement. Aujourd’hui, au contraire, l’enfant s’accroche à ses désirs et à ses refus.Du matin au soir il entend les adultes décréter « C’est bien », ou « C’est mal. » Il perçoitet enregistre toutes les émotions <strong>de</strong> ses parents. Des principes moraux et <strong>de</strong>s jugements <strong>de</strong>valeur lui sont imposés qui contredisent ce qu’il ressent. Il condamne certaines <strong>de</strong> sesimpulsions et les refoule sans en être pour ce<strong>la</strong> libéré le moins du mon<strong>de</strong>. Sondéveloppement se fait par cristallisation autour d’impressions emmagasinées dansl’inconscient, à partir d’un drame ou <strong>de</strong>s drames <strong>de</strong> sa petite enfance, qui <strong>de</strong>meurent aussipuissants et actifs qu’ils sont oubliés.Tant et Si bien que l’adulte « voit tout <strong>de</strong> travers », est « <strong>com</strong>plètement tordu » (ce quitraduit, en effet, le mot distorted utilisé par les sages). Mais <strong>com</strong>me son mon<strong>de</strong> s’imposeà lui avec une ruse consommée, il le considère <strong>com</strong>me le mon<strong>de</strong>, ne le met pas en doute,ne permet pas qu’on le mette en doute. C’est une supermaya à l’intérieur <strong>de</strong> <strong>la</strong> maya par<strong>la</strong>quelle chacun est hypnotisé. Un proverbe dit « Cherchez <strong>la</strong> femme. » Non « Cherchezl’émotion. »Tout le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure étranger à tout le mon<strong>de</strong>, c’est le dialogue <strong>de</strong> sourds,<strong>la</strong> Tour <strong>de</strong> Babel.Comme le vrai mon<strong>de</strong>, ce mon<strong>de</strong> du mental est peuplé <strong>de</strong> pères, mères, épouses etenfants, d’associés et <strong>de</strong> concurrents, <strong>de</strong> maîtresses et d’amants, et tissé <strong>de</strong> joies etd’épreuves. Tout est faux. Le mental et les émotions « savent », « voient », « jugent », «<strong>com</strong>prennent » tout <strong>de</strong> travers, toujours par préjugé, toujours en référence inconsciente à<strong>de</strong>s expériences passées. Moyennant quoi les actions <strong>de</strong>s autres sont interprétées et leursintentions déformées, les conséquences sont mal prévues, le sens <strong>de</strong>s événementsméconnu, les dangers inventés <strong>de</strong> toutes pièces.Ce délire général n’épargne personne. Il faut avoir le courage <strong>de</strong> dire que le rêve estpartout, dans les réussites et les échecs, chez les gens « très bien » <strong>com</strong>me chez lesindividus asociaux. Tout le mon<strong>de</strong> est mené par son inconscient mais <strong>com</strong>mel’inconscient est inconscient chacun est inconscient qu’il est mené par son inconscient. «Quel asile <strong>de</strong> fous Dieu n’atil pas créé », a dit <strong>la</strong> célèbre sage bengali Ma Anandamayi.Le mental manifeste <strong>la</strong> situation affective <strong>de</strong> l’enfant conservée à l’âge mûr. Il n’y aplus d’adultes véritables, rien que <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s femmes plus ou moins adultes, plusou moins infantiles. L’adulte parfait, c’est le sage. Il est entièrement libéré du passé doncdu futur. L’homme normal, espèce à peu près disparue, vit le présent à <strong>la</strong> lumière dupassé en général: tout le mon<strong>de</strong> a quelque chose à voir avec le père, <strong>la</strong> mère, lesexpériences diverses, chacun est conditionné par les impressions qui l’ont formé peu àpeu. Mais presque tout le mon<strong>de</strong> est aussi prisonnier d’un passé particulier, d’unévénement ou d’une situation conservée intacte et bien vivante dans l’inconscient. Cettesituation est le moule ou le cadre fixe à travers lequel toute l’existence est vécue, sans
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peut pas envisager. Et, pourtant, c
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toutes choses. » Quel homme ? L’