l’I<strong>de</strong>ntité suprême, l’i<strong>de</strong>ntité du Soi (atman) avec l’Absolu (brahman), est <strong>la</strong> réalisation<strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>ur par excellence. A mesure que se développe <strong>la</strong> véritable croissance <strong>de</strong>l’être, le besoin d’avoir (avoir <strong>de</strong> l’argent, <strong>de</strong>s connaissances, <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions, du succès, <strong>de</strong>sbiens matériels, <strong>de</strong>s idées originales, etc.) et donc l’égoïsme diminuent d’autant. C’est lerenoncement naturel.Des êtres qui ont apparemment « tout pour être heureux » vivent dans le désespoir etl’angoisse. Ceux que leur métier amène à connaître le fond <strong>de</strong>s cœurs savent <strong>com</strong>biend’hommes et <strong>de</strong> femmes beaux physiquement, notoires dans leur profession, riches, enbonne santé, pleins <strong>de</strong> succès auprès du sexe opposé, se p<strong>la</strong>ignent d’être si malheureux.Et pourtant, ils persévèrent dans <strong>la</strong> même ligne <strong>de</strong> recherche <strong>de</strong>s joies et <strong>de</strong> fuite <strong>de</strong>ssouffrances telles qu’ils les conçoivent, cette voie qui les a déjà tant trompés et déçus. Ceque tous les enseignements religieux ou ésotériques ont appelé <strong>la</strong> voie est pour ceux quien ont assez <strong>de</strong> se tromper.Tant qu’un homme ou une femme croit encore que cette foisci, ou <strong>la</strong> prochaine fois,en continuant <strong>de</strong> <strong>la</strong> même façon, ce<strong>la</strong> va enfin réussir, il va enfin être heureux, <strong>la</strong> voie <strong>de</strong>ce qui est vrai et juste ne s’ouvre pas encore <strong>de</strong>vant lui.La voie <strong>com</strong>mence par un renversement <strong>com</strong>plet <strong>de</strong> notre façon <strong>de</strong> voir, uneconversion, une metanoïa disent les Evangiles. Quand on a connu suffisammentd’hommes et <strong>de</strong> femmes riches, admirés et malheureux, on sait que l’argent et le succèsne font pas le bonheur et qu’il doit y avoir « quelque chose » à <strong>com</strong>prendre et à trouver.Inversement <strong>com</strong>bien <strong>de</strong> gens sans beauté, vivant petitement, sans aucune notoriété, etpour <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>squels nous ne changerions jamais <strong>la</strong> nôtre, sont pourtant détendus,souriants, en paix, heureux, tout ce que nous prétendons tellement vouloir être. Allonsaux extrêmes : s’il y a <strong>de</strong>s êtres <strong>com</strong>blés et désespérés, il existe aussi <strong>de</strong>s êtres disgraciés,infirmes, pauvres et rayonnants <strong>de</strong> joie. Le bonheur ou <strong>la</strong> souffrance, moteurs <strong>de</strong> toutel’existence humaine, <strong>de</strong> toutes les ambitions, <strong>de</strong> tous les travaux, <strong>de</strong> tous les efforts, sont<strong>de</strong>s qualités psychiques qui ne dépen<strong>de</strong>nt qu’apparemment <strong>de</strong>s conditions extérieures.Bonheur ou malheur sont l’expression <strong>de</strong> ce que nous sommes, non le résultat <strong>de</strong> ce quenous avons.Vient donc tôt ou tard, « dans cette vie ou dans une autre », un moment où l’hommesait : « Je me trompe quelque part. C’est moi qui dois changer, c’est mon être qui doitchanger. Il n’y a pas d’autre issue. » Alors seulement il se met vraiment en quête d’unmaître et d’un enseignement, alors seulement <strong>la</strong> voie s’ouvre <strong>de</strong>vant lui.Le mécanisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance se trouve dans notre dépendance visàvis <strong>de</strong> choses oud’êtres extérieurs à nous, dépendance qui constitue un attachement mais qui est souventparée du nom d’amour. Si mon bonheur dépend d’éléments que je ressens <strong>com</strong>me autresque moi, je n’ai plus <strong>de</strong> sécurité véritable. <strong>Les</strong> biens matériels peuvent être perdus,détruits, volés. Quant aux êtres humains, j’attends d’eux quelque chose dont il n’est pasen mon pouvoir <strong>de</strong> faire qu’ils me le donnent. Cette attente — couramment expriméepar : « On ne peut jamais <strong>com</strong>pter sur personne » est une <strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s sources <strong>de</strong>*
déception et <strong>de</strong> tristesse. Que je le veuille ou non, l’autre est différent <strong>de</strong> moi, changeant,mû par ses propres mécanismes, ses désirs, ses attachements, son attente à lui. Ilm’échappe. Nous sommes <strong>de</strong>ux.En quoi consiste donc toute existence humaine ? En une tentative <strong>de</strong> satisfaire lesdésirs, quels qu’ils soient : peindre, danser, écrire, faire l’amour, gagner <strong>de</strong> l’argent,rejoindre son amant, être célèbre, sou<strong>la</strong>ger <strong>la</strong> misère <strong>de</strong>s autres, faire <strong>la</strong> révolution,prêcher les bonnes doctrines, maigrir, méditer, se venger <strong>de</strong> ce sale con, séduire, défendreune juste cause, étudier, enseigner, montrer qu’on n’est pas <strong>de</strong> <strong>la</strong> mer<strong>de</strong>, sauver le mon<strong>de</strong>,être aimé.L’homme ou <strong>la</strong> femme qui s’engage sur <strong>la</strong> voie a <strong>com</strong>me désir primordial celui toutsimple d’être heureux, autrement dit d’échapper à <strong>la</strong> souffrance. Il sait aussi que cettevictoire est son premier <strong>de</strong>voir car seul celui qui est parfaitement heureux, donc libre dudésir et <strong>de</strong> l’attente, a <strong>la</strong> disponibilité et le temps nécessaires pour s’intéresser aux autres,les voir tels qu’ils sont, non tels qu’il a besoin qu’ils soient, les aimer et les ai<strong>de</strong>r.Le bonheur est d’ailleurs le plus sûr critère <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>sagesse</strong>. On sait qu’on est arrivé aubout du chemin quand on est vingtquatre heures sur vingtquatre, sans jamais uneoscil<strong>la</strong>tion, dans l’état <strong>de</strong> bonheur le plus total et le plus parfait qu’on puisse imaginer,auquel rien ne manque et rien ne peut être ajouté. L’homme, autour <strong>de</strong> nous, en est loin,si loin, parce qu’il cherche hors <strong>de</strong> lui le sens <strong>de</strong> sa vie.La dépendance fait qu’un événement extérieur, <strong>la</strong> perte d’un objet ou d’un être (<strong>la</strong>trahison d’un ami, un amour qui se brise), nous mutile <strong>com</strong>me si notre être même étaitmis en question.L’existence c’est le désir — quel qu’il soit. Sans désir pas d’existence. Le désir quianime un homme au moment <strong>de</strong> sa mort détermine sa vie dans l’au<strong>de</strong>là ou une nouvelleincarnation. Or, si l’homme vit <strong>de</strong> désirs, ces désirs sont souvent contradictoires et,encore plus souvent, inconnus, « inconscients ». Le nirvana, <strong>la</strong> Libération, est l’extinction<strong>de</strong>s désirs, autrement dit : trouver sa joie et sa plénitu<strong>de</strong> en soimême au lieu <strong>de</strong> leschercher au <strong>de</strong>hors. C’est <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> toute souffrance et <strong>de</strong> toute peine. Mais <strong>com</strong>ment enarriver là ? C’est <strong>la</strong> question, toute <strong>la</strong> question.D’abord il faudrait être convaincu, par sa propre expérience et <strong>de</strong> sa propre certitu<strong>de</strong>,que tout ce que je viens <strong>de</strong> dire est vrai. Si je crois encore qu’il y a d’autres moyens que<strong>la</strong> voie pour trouver <strong>la</strong> paix et le bonheur, à <strong>la</strong> première vraie difficulté sur <strong>la</strong> voie, jeprendrai un chemin <strong>de</strong> traverse.Ces difficultés sont nombreuses et parfois dramatiques. La plus grave est que l’hommea besoin <strong>de</strong> ce qui le condamne à souffrir et croit, au contraire, y trouver son énergie et sapossibilité <strong>de</strong> vivre. Voilà pourquoi tous les enseignements spirituels, à <strong>com</strong>mencer parles Evangiles, parlent tant d’esc<strong>la</strong>ves et d’affranchissement <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves. Nous sommestous <strong>de</strong>s esc<strong>la</strong>ves. Certains ne peuvent le nier. Le morphinomane trouve sa vie dans <strong>la</strong>morphine, l’alcoolique dans l’alcool. Sans morphine, sans alcool, ils souffrent, ils sontperdus. Ce<strong>la</strong> les maintient dans l’esc<strong>la</strong>vage. Je pense aussi à <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins certains que <strong>la</strong>cigarette est cancérigène, à <strong>de</strong>s sportifs convaincus qu’elle leur enlève le souffle, et qui ne
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toutes choses. » Quel homme ? L’